Une arrestation basée sur une erreur de droit est illégale 

R. c. Tim, 2022 CSC 12

Arrestation illégale

[30] Des considérations impérieuses en matière de principes et de politiques juridiques confirment qu’une arrestation légale ne saurait être basée sur une erreur de droit — c’est à dire lorsqu’un policier connaît les faits et conclut erronément qu’ils constituent une infraction, alors qu’en droit ce n’est pas le cas. Permettre aux policiers de procéder à des arrestations sur la base de ce qu’ils croient être la loi — plutôt que sur la base de ce qu’est réellement la loi — élargirait de façon radicale les pouvoirs des policiers au détriment des libertés civiles. Cela ferait en sorte que les gens seraient à la merci de la compréhension de la loi qu’auraient des policiers donnés, et que les policiers seraient moins enclins à vouloir connaître la loi. La population canadienne s’attend à juste titre à ce que les policiers respectent la loi, ce qui exige qu’ils la connaissent. […]

[31] Il est en conséquence illégal pour des policiers de procéder à une arrestation sur la base d’une erreur de droit.

[41] […] Le policier a arrêté l’appelant explicitement pour possession de gabapentine. Le policier connaissait les faits — il a correctement identifié le comprimé comme étant de la gabapentine —, mais il a erronément conclu que la possession de gabapentine constituait une infraction, alors qu’en droit ce n’était pas le cas. […] Que l’erreur de droit porte sur une infraction inexistante, ou encore sur une infraction existante que ne supportaient pas les faits — même avérés — sur lesquels le policier s’est fondé, ne fait aucune différence. Dans les deux cas, l’erreur de droit fait obstacle à une arrestation légale. Les juridictions inférieures ont fait erreur en concluant différemment.

Fouille accessoire à une arrestation illégale

[48] La Couronne concède que les deux premières fouilles — la fouille initiale par palpation de l’appelant et la fouille de sa voiture après la découverte de la gabapentine — ont censément été effectuées accessoirement à l’arrestation, et que si l’arrestation de l’appelant était illégale, alors ces fouilles étaient elles aussi illégales et ont violé l’art. 8 de la Charte. J’accepte cette concession.

Fouille accessoire à une détention aux fins d’enquête

[56] […] Tout comme une arrestation sans mandat basée sur une erreur de droit viole l’art. 9 de la Charte, une détention aux fins d’enquête basée sur une erreur de droit a le même effet.

[57] Cependant, la juge dissidente a à juste titre conclu que les policiers pouvaient détenir l’appelant aux fins de l’enquête liée à l’accident de la route, comme l’a reconnu ce dernier. L’interaction de la police avec l’appelant a commencé par l’enquête liée à l’accident de la route. Le policier qui a procédé à l’arrestation a témoigné qu’il s’est rendu à l’endroit où le véhicule endommagé de l’appelant s’était arrêté et qu’il s’est approché de ce dernier parce qu’il le soupçonnait d’avoir fui les lieux de la collision avec un panneau routier.

[59] Il s’ensuit que l’appelant n’avait aucun droit de refuser de coopérer avec les policiers, il n’était pas non plus libre de s’en aller. Il était légalement détenu dans le cadre d’une enquête liée à un accident de la route, même s’il ne pouvait pas être légalement détenu dans le cadre d’une enquête liée aux drogues.

[64] J’arrive donc à la conclusion que le policier qui a procédé à l’arrestation a effectivement exprimé des préoccupations subjectives liées à la sécurité, ne serait ce qu’implicitement, et que ces préoccupations étaient objectivement raisonnables dans les circonstances. Lorsqu’on trouve des balles dissimulées, il est possible qu’il y ait aussi une arme à feu dissimulée. L’autre fouille par palpation de l’appelant, celle au cours de laquelle le policier a délogé une arme de poing chargée simplement en touchant l’extérieur du pantalon de l’appelant, a elle aussi été effectuée de manière non abusive. Cette fouille n’a pas violé l’art. 8 de la Charte.

Fouille à nu

[68]  La fouille à nu effectuée au poste de police était accessoire à cette arrestation liée à des armes, puisqu’elle visait à découvrir des armes dissimulées ou des éléments de preuve se rapportant à l’infraction pour laquelle l’appelant avait été légalement arrêté […] Dans le présent cas, toutefois, la fouille à nu a été minimalement envahissante, car elle a été effectuée de manière non abusive, conformément aux lignes directrices énoncées par la Cour relativement à ces fouilles […] Elle a été réalisée au poste de police, et elle s’est limitée à la ceinture du sous vêtement de l’appelant, sous-vêtement que ce dernier a conservé tout au long de la fouille.

[69] En conséquence, je conclus que la fouille à nu n’a pas violé l’art. 8 de la Charte.

Éléments de preuve « obtenus dans des conditions »

[79] […] Même s’il était possible d’affirmer qu’il n’existait aucun lien de causalité entre les violations de la Charte et la découverte des éléments de preuve durant la troisième fouille, il y avait indubitablement des liens de nature temporelle et contextuelle qui n’étaient ni ténus ni éloignés. Le lien entre les violations de la Charte et les éléments de preuve contestés découlant de la troisième fouille était de nature temporelle, parce que la découverte de ces éléments de preuve était très rapprochée dans le temps des violations de la Charte. Le lien était également de nature contextuelle, puisque la découverte de ces éléments de preuve découlait directement de la même interaction avec les policiers : la troisième fouille a eu lieu parce que le policier s’inquiétait du fait qu’il avait peut être « omis de repérer certains objets » pendant la première fouille. La troisième fouille faisait aussi partie de la même opération ou série d’actes que les première et deuxième fouilles : l’interaction a commencé dans le cours d’une enquête liée à l’accident de la route qui a rapidement mené à une arrestation illégale pour possession de ce que l’on croyait être une substance désignée, arrestation qui a ensuite immédiatement fait naître des préoccupations en matière de sécurité justifiant la troisième fouille.

Exclusion de la preuve

[99]  J’ai conclu que la première question de l’analyse énoncée dans l’arrêt Grant milite faiblement en faveur de l’exclusion et la deuxième question, modérément, mais que la troisième question milite fortement en faveur de leur utilisation. À mon avis, sur la base de ces faits, la mise en balance finale ne commande pas l’exclusion des éléments de preuve afin de protéger la considération à long terme portée au système de justice. Un policier relativement peu expérimenté a commis une erreur honnête quant au statut juridique de la gabapentine, un médicament délivré sur ordonnance, qui fait l’objet de trafic dans les rues et que l’appelant a essayé de dissimuler pendant une enquête légale liée à un accident de la route. La situation a donné lieu à une arrestation, à des fouilles accessoires à cette arrestation et à la découverte d’une arme à feu chargée, de munitions et de fentanyl — une drogue qui a été qualifiée « [d]’ennemi public numéro un » (R. c. Parranto, 2021 CSC 46, par. 93, le juge Moldaver). L’exclusion de ces éléments de preuve aurait simplement pour effet de punir les policiers — ce qui n’est pas l’objet du par. 24(2) —, et elle affaiblirait au lieu de soutenir la considération à long terme portée au système de justice pénale.

[100] Je conclus que l’utilisation des éléments de preuve n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Je suis par conséquent d’avis d’utiliser les éléments de preuve et de confirmer les déclarations de culpabilité à l’égard de tous les chefs d’accusation.

Décision complète disponible ici

 ***

✨ Abonnez-vous à ma veille juridique pour être informé des plus récentes décisions prononcées par la Cour suprême du Canada ainsi que les décisions d’intérêt pour l’avocat.e-criminaliste rendues par la Cour d’appel du Québec.

✨ Rejoignez le groupe privé Facebook Le coin du criminaliste pour connaître les décisions favorables à la défense rendues au Québec, mais également par les cours d’appel canadiennes.

✨ Consultez mon site Internet pour en apprendre davantage sur mes services de recherche et de rédaction en droit criminel.

 

A lire également