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Le cumul de périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle en cas de meurtres multiples prévu à l’art. 745.51 C.cr. est déclaré inconstitutionnel

R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23

[3] […] notre Cour est saisie de la question de savoir si l’art. 745.51 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46 (« C. cr. »), introduit en 2011 par la Loi protégeant les Canadiens en mettant fin aux peines à rabais en cas de meurtres multiples, L.C. 2011, c. 5, art. 5, contrevient aux art. 7 et 12 de la Charte. La disposition contestée autorise le cumul de périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle en cas de meurtres multiples. Lorsqu’il s’agit de meurtres au premier degré, l’application de cette disposition permet au tribunal d’infliger une peine d’emprisonnement sans possibilité de libération conditionnelle pour une période de 50, 75, 100, voire 150 ans. En réalité, l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal résulte inévitablement en un emprisonnement à vie sans possibilité réaliste de libération conditionnelle pour tout contrevenant visé qui a été reconnu coupable de meurtres multiples au premier degré. Il s’agit d’une peine pour des infractions criminelles dont la sévérité est sans précédent dans l’histoire du pays depuis l’abolition de la peine de mort et des châtiments corporels dans les années 1970.

[4]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’art. 745.51 C. cr. est contraire à l’art. 12 de la Charte et n’est pas sauvegardé par l’article premier. […]

[7] La disposition contestée dans la présente affaire permet l’infliction d’une peine qui entre dans cette dernière catégorie de peines cruelles et inusitées par nature. Tous les contrevenants assujettis à un cumul de périodes d’inadmissibilité de 25 ans chacune en vertu de l’art. 745.51 C. cr. sont destinés à être incarcérés pour le restant de leurs jours, sans possibilité réaliste d’obtenir une libération conditionnelle. Poussée à l’extrême, la disposition contestée autorise le tribunal à ordonner à un contrevenant de purger un temps d’épreuve qui dépasse l’espérance de vie de toute personne humaine, une peine dont l’absurdité est de nature à déconsidérer l’administration de la justice.

[8] La peine d’emprisonnement à vie sans possibilité réaliste de libération conditionnelle est intrinsèquement incompatible avec la dignité humaine. Une telle peine est dégradante dans la mesure où elle anéantit, de manière anticipée et irréversible, l’objectif pénologique de réinsertion sociale. Cet objectif est intimement lié à la dignité humaine en ce qu’il véhicule la conviction que chaque individu possède la capacité nécessaire pour se repentir et réintégrer la société. Cette conclusion selon laquelle la peine d’emprisonnement à vie sans possibilité réaliste de libération conditionnelle est contraire à la dignité humaine est non seulement renforcée par les effets que sont susceptibles d’engendrer une telle peine sur l’ensemble des contrevenants qui y sont assujettis, mais elle trouve également appui en droit international et en droit comparé.

[9] Pour assurer le respect de la dignité inhérente à chaque individu, l’art. 12 de la Charte commande que le Parlement laisse entre-ouverte la porte donnant accès à la réhabilitation, et ce, même dans les situations où cet objectif revêt une importance secondaire. Sur le plan pratique, cela signifie que tout détenu doit bénéficier d’une possibilité réaliste de demander la libération conditionnelle à tout le moins avant l’expiration d’un temps d’épreuve de 50 ans, lequel correspond à la période d’inadmissibilité minimale résultant de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal en vertu de la disposition contestée en cas de meurtres au premier degré.

[134]   En ce qui concerne la portée temporelle de la déclaration d’invalidité, elle doit avoir un effet immédiat en raison de la gravité de la violation du droit de toute personne à la protection contre l’infliction d’une peine cruelle et inusitée. Afin de faire cesser la violation continue de l’art. 12 de la Charte, cette déclaration assortie d’une prise d’effet immédiate doit invalider rétroactivement la disposition contestée à compter de la date de l’adoption de celle-ci en 2011.

[138] En ce qui concerne l’intimé, l’art. 745.51 C. cr. étant déclaré invalide immédiatement et la déclaration d’invalidité étant rétroactive à la date de l’adoption de cette disposition, le droit applicable est celui qui existait avant cette date. Les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 25 ans auxquelles est assujetti l’intimé pour chacun des 6 chefs de meurtre au premier degré doivent en conséquence être purgées concurremment. Ainsi, conformément à l’al. 745a) C. cr., l’intimé ne pourra présenter de demande de libération conditionnelle avant d’avoir purgé un temps d’épreuve total de 25 ans. La Commission demeure l’arbitre qui décidera ultimement si l’intimé pourra obtenir une libération conditionnelle à la fin de la période d’inadmissibilité.

Décision complète disponible ici

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