L’imprudence ou l’inattention d’un conducteur ne saurait justifier une condamnation de conduite dangereuse causant des lésions corporelles

Tremblay c. R., 2022 QCCA 677

[9] La journée est pluvieuse. À l’approche d’un carrefour giratoire (un rond-point) assez peu achalandé, dans lequel les véhicules circulent sans encombre, le camion lourd de l’appelant heurte l’automobile qui le précède (une Honda Civic) et la pousse sur quelques dizaines de mètres. Les deux véhicules s’immobilisent alors au milieu du carrefour, la voiture se retrouvant à gauche du camion.

[11] Une accusation de conduite dangereuse causant des lésions corporelles est subséquemment portée contre l’appelant en vertu de ce qui était alors l’art. 249 al. (1)a) et paragr. (3) C.cr. […]

[57]  On peut admettre ici qu’il y a un danger intrinsèque dans le fait qu’un camion pousse du nez une automobile dans un carrefour, le camionneur – l’appelant en l’occurrence – commettait par là un acte dangereux. On ne peut en inférer pour autant que cela constituait en l’espèce un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable placée dans la même situation.

[58] Je m’explique.

[59] Tout d’abord, l’analyse ne peut cibler que cette seule portion de la conduite de l’appelant, qui en est en réalité le point culminant d’un événement comportant plusieurs séquences indissociables. C’est l’entièreté du comportement de l’appelant, incluant l’acte dangereux, mais aussi ce qui y mène, qui doit être examiné, et, de même, en l’espèce, son comportement subséquent.

[60]  Or, qu’établit la preuve à cet égard? Comme on l’a vu plus haut, il en ressort (et la vidéo, là-dessus, est un élément important) que lorsqu’il est arrivé dans les environs du carrefour, l’appelant ne roulait pas vite, qu’il s’est arrêté à bonne distance du véhicule de la plaignante avant de s’en rapprocher lentement (ce que confirme le témoignage de la plaignante, après qu’elle se fut corrigée) et qu’il s’est ensuite avancé tranquillement lorsque les voitures arrêtées devant lui, dont celle de la plaignante, se sont remises en marche vers le carrefour. Il n’y a rien de dangereux dans cette conduite, si ce n’est le risque inhérent à toute conduite automobile, lorsque des véhicules se suivent sans rouler tous à la même vitesse.

[61] Il faut tenir compte ensuite de l’explication que donne l’appelant, explication qui, ainsi qu’on l’a vu précédemment, est plausible vu la configuration des lieux : il a levé l’œil pour regarder plus loin le carrefour dans lequel il devait entrer, mais dans lequel allaient également s’engager des véhicules venant de toutes parts. Il n’a pas stoppé cependant et a continué d’avancer, touchant finalement l’automobile de la plaignante, qui se trouvait tout juste devant lui et la poussant par la suite. 

[62] La preuve révèle ici, tout au plus, une imprudence ou une inattention, motivée par le fait que l’appelant a porté son regard plus au loin afin de vérifier la circulation dans le carrefour giratoire. Cela, en soi, n’est pas blâmable, mais aurait dû s’accompagner d’une vigilance accrue envers ce qui se trouvait immédiatement devant lui. Cette imprudence ou cette inattention auraient pu, peut-être, engager la responsabilité civile de l’appelant, n’eût été la Loi sur l’assurance automobile du Québec, mais elles ne répondent pas aux exigences de la mens rea objective en matière de conduite dangereuse, telle que définie ci‑dessus.

[63]  La preuve, considérée dans son ensemble aussi bien que dans chacun de ses éléments, ne suffit en effet pas à établir – et certainement pas hors de tout doute raisonnable – qu’une personne raisonnable (personne raisonnable qui, en l’occurrence, est un chauffeur de poids lourd), placée dans la même situation que l’appelant, aurait été consciente du risque créé par la façon de conduire en cause, laquelle était globalement prudente, sauf ce moment d’inattention engendré par une vérification par ailleurs nécessaire et elle-même prudente. Et si même il y avait un écart entre la conduite de l’appelant et celle de la personne raisonnable, on ne peut parler d’un écart marqué, qui aurait pu – sans que ce soit un automatisme – justifier une inférence de mens rea. […]

Décision complète disponible ici

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