L’intention spécifique du crime d’intimidation d’une personne associée au système judiciaire

Gagné c. R., 2022 QCCA 751

[6] Cet appel porte plus précisément sur l’existence au jour des événements survenus le 28 mai 2017 d’une preuve hors de tout doute raisonnable de l’intention spécifique de l’appelant de nuire au plaignant (un policier) dans l’exercice de ses attributions. Selon le juge, cette preuve a été établie au moyen de trois vidéos réalisées et mises en ligne par l’appelant le 23 juin et les 13 et 14 septembre 2017.

[11] Lors de ces vidéos, dans un langage rugueux et familier, l’appelant s’adresse à ses amis et fait état de sa frustration envers le plaignant sans toutefois le nommer. Il soutient avoir subi un abus d’autorité et affirme que personne ne va le sortir du centre-ville (vidéo du 23 juin). Il se dit victime d’un coup monté, parle de l’arrogance du plaignant, le qualifie d’agresseur et invoque le droit de s’exprimer et de se défendre (vidéo du 14 sept.). Finalement, l’appelant considère être l’objet d’une vengeance, se dit heureux d’avoir un avocat pour se défendre («imagine pas d’avocat») et réitère son intention de contester les accusations portées contre lui (vidéo du 15 sept.).

[13] La poursuivante devait démontrer, par les gestes et paroles de l’appelant du 28 mai 2017, qu’il avait agi en vue de nuire au plaignant dans l’exercice de ses attributions. Cette intention est démontrée lorsqu’il est raisonnablement prévisible que le comportement d’un accusé va engendrer le résultat prohibé par la loi.

[14] La jurisprudence enseigne aussi que l’existence de menaces permettant de conclure à l’intention d’un accusé de provoquer la peur chez une personne associée au système de justice n’implique pas nécessairement l’intention de nuire à cette personne dans ses attributions. Il s’agit de deux questions distinctes qui nécessitent une preuve d’intention spécifique pour chacun des éléments constitutifs de l’infraction (l’intention de provoquer la peur et l’intention de nuire).

[28] Tout en me gardant bien de réévaluer la preuve, deux constats s’imposent dès maintenant au regard des trois vidéos litigieuses et de leur contexte. Le premier tient au caractère manifeste selon lequel les vidéos sont réalisées en réaction à deux événements postérieurs à ceux du 28 mai, en l’occurrence l’arrestation de l’appelant et la communication d’un rapport de police. Le second a trait au silence du jugement entrepris à propos de ce contexte et de son influence sur le contenu des trois vidéos.

[29] À mon avis, le juge devait se mettre en garde de sorte à ne pas associer indûment les frustrations de l’appelant provoquées par des événements subséquents avec la preuve de son intention coupable le 28 mai 2017. Le jugement entrepris ne fait pas cette distinction importante.

[30] Par ailleurs, la conclusion du juge sur l’intention de l’appelant de nuire devait reposer sur une interprétation raisonnable de la preuve. En l’espèce, les seuls extraits des trois vidéos citées dans le jugement entrepris ne soutiennent pas raisonnablement la preuve de cette intention. Je m’explique.

[31] Dans les vidéos en question, l’appelant manifeste certes son mécontentement envers le plaignant pour des constats émis par le passé. L’appelant utilise un langage vernaculaire et à la limite insultant pour se plaindre de l’arrogance du plaignant. L’appelant y affirme aussi sa volonté de se défendre pour les accusations portées contre lui et compte bien continuer à circuler au centre-ville avec son bicycle.

[32] Or, le jugement entrepris n’identifie à aucun endroit laquelle des trois vidéos fonde la responsabilité criminelle de l’appelant ni même les passages de ces vidéos qui établissent la preuve hors de tout doute raisonnable de sa mens rea.

[33] […] Les mots cités dans le jugement « donner un show », « policier zélé », « tintin », « agresseur », les phrases « attache ta tuque, je ne peux avoir de respect pour un gars comme ça » et « [je ne vais] pas [m]e laisser faire » ne pouvaient objectivement et logiquement démontrer un mois et trois mois après le fait une intention criminelle le jour du 28 mai précédent. Tout au plus, s’agit-il ici de l’expression d’une personne frustrée de devoir subir un procès pour des événements dont il conteste la gravité.

Décision complète disponible ici

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