La mens rea du crime de menace à l’article 264.1 C.cr. et le rôle déterminant des circonstances et des explications de l’accusé au sujet des paroles prononcées

Martel c. R., 2023 QCCA 205

[5]  En juillet 2020, la Direction de la santé publique rendait obligatoire le port du couvre-visage dans tous les endroits publics intérieurs du Québec afin de freiner la propagation du virus.

[6]  Le 22 juillet 2020, l’appelant contacte le programme d’aide aux employés (PAE) offert par son employeur. […]  Le rôle de l’agente de première ligne qui répond à l’appelant est d’évaluer les besoins du client et de le référer aux services appropriés, lesquels peuvent consister en du soutien psychologique, des conseils légaux ou encore des conseils financiers. […] Il mentionne alors ceci en réponse à la question de l’agente Véronique Rijo : […]

Il est hors de question. Je suis pas un esclave, jamais je vais me mettre ça dans le visage. Mais s’ils mettent ça… s’il faut mettre… porter ça toujours à l’extérieur, ça va en venir… parce que, là, ils en parlent de plus en plus, ça a commencé dans d’autres pays. Mais probablement que je vais faire comme à l’Île-du-Prince-Édouard, je vais en tuer le maximum avant de m’en tirer une. Il est hors de question que je mette ça dans mon visage. Ça fait que je ne sais pas quoi faire avec ça.

[32] L’élément de faute de l’infraction de menace revêt un caractère subjectif. Comme le mentionne la Cour suprême dans l’arrêt R. c. McRae, il faut examiner ce que l’accusé entendait effectivement faire. On doit rechercher son intention véritable lorsqu’il a prononcé les paroles qui lui sont reprochées […]

[33] Pour faire cette détermination, le juge du procès doit tenir compte de toutes les circonstances dans lesquelles les paroles ont été prononcées et des explications que l’accusé fournit lors de son témoignage. L’examen de l’intention requise pour l’infraction de menace implique une analyse subjective de la faute commise. La finalité des propos est importante. 

[35] En l’espèce, la Cour est d’avis que le juge a commis une erreur de droit en omettant d’analyser l’élément intentionnel de l’infraction. La Cour, dans l’arrêt Joad c. R., mentionne que pour trancher la question de la mens rea, le juge doit se pencher d’abord sur les explications de l’accusé […]

[38] La Cour est d’avis que le juge a commis une erreur dans son analyse de la mens rea. Premièrement, il a erré en écartant les explications données par l’appelant lors du troisième appel au PAE, alors qu’il a eu lieu quelques minutes seulement après les deux autres. Dès ce moment, l’appelant explique qu’il recherche de l’aide et qu’il n’a aucune intention de tuer quelqu’un. Plutôt que de tenir compte des explications de l’appelant, le juge considère qu’il est trop tard pour exprimer des regrets puisque le crime était déjà commis.

[39] En outre, au procès, l’appelant fournit des explications dont le juge se devait de tenir compte pour déterminer s’il possédait l’intention requise lors des appels […]

[40] Enfin, le juge n’analyse pas non plus la déclaration faite par l’appelant aux policiers dès le lendemain de son arrestation. Il y explique son état d’esprit au moment des appels […]

[41] Le juge n’a donc pas tenu compte des explications de l’appelant concernant les paroles prononcées, ce qui était essentiel à la détermination de la mens rea de l’infraction de menaces.

[43] Il est exact en l’espèce que l’appelant n’était pas en thérapie au moment où il a prononcé les paroles ayant mené à des accusations criminelles. Il était toutefois en contact avec le PAE afin d’obtenir de l’aide. C’est à la suite d’une question de la première agente qui voulait connaître les raisons de sa demande de consultation, et après quelques instants d’hésitation, qu’il a prononcé les paroles visées par les accusations. Il n’appelait pas au PAE pour menacer qui que ce soit, il cherchait de l’aide pour ne pas en venir à perdre le contrôle. Il avait d’ailleurs consulté ce service avec succès dans le passé.

[44] Comme le souligne le professeur Rainville, une consultation visant à freiner des pensées noires « suppose de toute évidence la volonté d’être pris au sérieux », mais les paroles prononcées pour expliquer la détresse ne constituent pas nécessairement des menaces. Il explique qu’il faut analyser ce type de confidence dans le contexte où les paroles sont prononcées. Un cri de désespoir ou un cri du cœur ne s’apparente généralement pas à une menace. 

[45] Les circonstances dans lesquelles les paroles ont été prononcées revêtent donc la plus haute importance pour déterminer si elles doivent faire l’objet de sanctions criminelles. Il ne faut pas faire en sorte que des personnes qui cherchent de l’aide évitent de le faire de peur que leurs paroles soient mal interprétées. Un appel à l’aide ne devrait pas être visé par l’art. 264.1 C.cr. 

Décision complète disponible ici

 ***

✨ Inscrivez-vous à ma veille juridique pour être informé des plus récentes décisions prononcées par la Cour suprême du Canada ainsi que les décisions d’intérêt pour l’avocat.e-criminaliste rendues par la Cour d’appel du Québec.

✨ Abonnez-vous à ma veille jurisprudentielle afin de recevoir bi-mensuellement les décisions rendues par la Cour suprême du Canada, les cours d’appel canadiennes ainsi que l’ensemble des tribunaux québécois en matière de crimes à caractère sexuel.

✨ Rejoignez le groupe privé Facebook Le coin du criminaliste pour connaître les décisions favorables à la défense rendues au Québec, mais également par les cours d’appel canadiennes.

✨ Consultez mon site Internet pour en apprendre davantage sur mes services de recherche et de rédaction en droit criminel.

 

A lire également