La mens rea du crime de menace à l’article 264.1 C.cr. : la Cour d’appel du Québec réitère la nécessité de considérer les explications crédibles de l’accusé

Patoine c. R., 2022 QCCA 1517

[7] Le 23 juillet 2020, l’appelant voit apparaître sur son fil d’actualité Facebook, un article de journal concernant la pandémie de Covid-19 et intitulé « Le port du masque obligatoire jusqu’à la découverte d’un vaccin ». L’individu qui partage cet article le commente comme suit : « Et ceux qui refuseront le vaccin ??? Des camps de concentration ???? » (retranscrit tel quel).

[8] L’appelant partage à son tour sur son profil Facebook cet article et ce commentaire, auquel il ajoute son propre commentaire qui se lit ainsi : « Les dirigeants nous déclarent la guerre!!! C pas compliquer Lui qui m’oblige au vaccin je le tue Point à ligne » (retranscrit tel quel).

[21] […] [L]’élément intentionnel (mens rea) de l’infraction […] est établi s’il est démontré que les mots menaçants proférés ou transmis visaient à intimider ou à être pris au sérieux. […] [L]e fait que l’accusé n’a pas eu l’intention de mettre à exécution la menace n’est pas un élément essentiel; seule compte l’intention que la menace soit prise au sérieux. Cela étant, l’élément de faute revêt un caractère subjectif; ce qui importe, c’est ce que l’accusé entendait réellement faire.

[26] L’appelant soulève avec raison que le juge a commis une erreur de droit en évacuant de son analyse la question de l’élément intentionnel de l’infraction. Tout au long de ses motifs, le juge ne fait référence qu’à des éléments liés à l’actus reus de l’infraction sans se poser la question de savoir si l’appelant avait l’intention spécifique d’intimider ou de susciter la crainte.

[27] Quoique l’analyse du juge sur la mens rea soit brève et même laconique (elle se résume à quelques mots), c’est surtout l’absence totale de commentaires quant aux explications de l’appelant sur son intention réelle qui soulève l’attention. Or, comme la Cour en a décidé, les explications de l’appelant, si elles sont crédibles, permettent de comprendre les intentions qui l’animaient en écrivant les propos litigieux, à savoir s’il souhaitait que les mots proférés soient intimidants ou qu’ils soient pris au sérieux.

[28] Si, selon le juge, cette intention est présente, ce n’est pourtant pas ce qu’a affirmé l’appelant lors de son témoignage. Ce dernier a expliqué qu’il n’avait pas l’intention de blesser ou « de faire quoi que ce soit à personne » ni de menacer personne, « c’était envoyé de même », « […] c’est un lexique de gars de garage ».

[29] […] Le juge devait traiter du témoignage de l’appelant quant à ses intentions réelles et expliquer pourquoi il ne les retenait pas. Cela s’impose d’autant plus dans ce cas-ci vu que la seule question en litige lors du procès portait sur la mens rea et que le juge ne remet jamais en cause la crédibilité du témoignage de l’accusé.

[32] S’il est raisonnable de conclure que l’appelant a écrit ces commentaires sous le coup de la colère et de la frustration, il est tout à fait plausible, vu ses explications et le contexte entier de l’affaire, qu’il n’a eu aucune intention d’être pris au sérieux ou de menacer quiconque avec de tels propos. En absence d’explications de la part du juge qui justifient pourquoi le témoignage de l’appelant à cet égard doit être écarté, on peine à comprendre comment il a pu conclure à une intention spécifique dans cette affaire.

[33] Pour ces motifs, je suis d’avis que l’appel doit être accueilli et qu’un verdict d’acquittement doit être prononcé.

Décision complète disponible ici

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