Le juge qui impose la peine doit respecter la recommandation conjointe des parties (à moins de circonstances manifestement exceptionnelles)

Reyes c. R., 2022 QCCA 1689

[36] La nécessité de présenter des motifs au soutien du refus d’une recommandation conjointe n’est pas un exercice de complaisance ou de forme. Dans ce contexte, il s’agit d’une exigence par laquelle le juge doit faire la démonstration ciblée des raisons pointues qui dépassent un simple désaccord avec la justesse de la peine proposée ou une vague appréhension d’un sentiment négatif pour un public inconnu et indéfini. Après avoir pris connaissance des motifs du juge, ce même public doit être en mesure d’identifier pourquoi « la peine proposée fait échec au bon fonctionnement du système de justice ». Comme le juge Moldaver l’a noté dans l’arrêt Anthony-Cook, « une peine très clémente, même si elle est « manifestement non indiquée », peut, dans une affaire donnée, servir le bien commun ». Il s’ensuit que dans un dossier où le juge refuse une recommandation conjointe, ses motifs doivent faire preuve des raisons convaincantes qui expliquent pourquoi la suggestion des parties est non seulement trop clémente, mais aussi pourquoi elle ne peut pas servir le bien commun. 

[43] Il est important de mentionner les deux aspects saillants de la conclusion du juge. Le premier concerne la décision de doubler le quantum de la peine suggérée, en passant de trois à six mois d’emprisonnement. Le deuxième est d’ordonner que cette peine de six mois soit purgée de façon consécutive à toute autre peine en vigueur. 

[45]  En dépit de son exposition complète et solide des principes applicables selon l’arrêt Anthony-Cook, la seule explication qui semble justifier la conclusion en l’espèce est que « ça vaut plus ». En somme, bien qu’il soit difficile de définir ce qu’est l’avis d’un public averti et informé, l’opinion du juge est largement dépourvue de contenu, sauf afin d’exprimer une finalité de rétribution. Or, ce n’est pas la finalité de la tâche lorsqu’un juge reçoit une recommandation conjointe. Comme cette Cour l’a dit à plusieurs reprises, son obligation est d’identifier et d’expliquer en quoi la recommandation conjointe va à l’encontre de l’intérêt public. Ce que le juge a fait en l’espèce est de refaire l’exercice de déterminer une peine juste dans les circonstances. Comme la Cour l’a dit, cet exercice ne passe pas sous le couvert de l’intérêt public.

[49]  On y voit mal une approche marquée par la modération, la retenue et la déférence, telle que conseillée dans l’arrêt Anthony-Cook, non plus le respect d’un seuil d’intervention élevé. Ce résultat doit être écarté pour au moins trois raisons. Premièrement, il est opaque. Deuxièmement, il ne répond pas aux critères d’un refus identifiés par la Cour suprême dans les arrêts Anthony-Cook et Nahanee. Le juge adopte plutôt le critère de la justesse de la suggestion faite par les parties, ce qui est expressément exclu de l’analyse selon le critère établi par la Cour suprême et renforcé par la jurisprudence de cette Cour. Enfin, le juge ne réussit qu’à substituer son avis et sa discrétion à celle qui est déférée aux parties, ce qui, encore une fois, est contraire aux enseignements de l’arrêt Anthony-Cook et de la jurisprudence subséquente.

[50] Je souligne en terminant que les juges de première instance ont toujours le devoir de s’assurer que les peines sont conformes à l’intérêt public, mais la jurisprudence de la Cour suprême oblige tous les tribunaux à respecter les recommandations conjointes, sauf dans les circonstances manifestement exceptionnelles.

[51] Je suggère donc d’accueillir l’appel, de casser la peine imposée de 27 novembre 2020, d’imposer une peine de trois mois sur chaque chef d’accusation à être purgée concurremment à toute autre peine en vigueur ainsi qu’une probation d’une année aux conditions contenues dans la recommandation conjointe.

Décision complète disponible ici

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