La Cour d’appel impose une peine d’emprisonnement dans la collectivité pour le crime d’attentat à la pudeur

Lajoie c. R., 2023 QCCA 1595

[8] Le crime a été commis en juin 1971, alors que la victime (X) était âgée de près de 9 ans et que l’appelant en avait 25. Celui-ci est le conjoint de la marraine de la victime. Les événements se sont déroulés dans la cuisine de leur résidence, à un moment où la marraine était présente. Le délinquant, alors assis à la table, assoit X sur lui, lui tourne la tête vers lui et l’embrasse en introduisant sa langue dans sa bouche. Il passe ensuite sa main sous son pantalon et lui caresse la vulve, sans pénétration quelconque. Tout cela se serait passé sur une courte période de cinq minutes.

[33] Je suis […] d’avis, au vu du contexte de l’affaire, de la nature du contact, de la situation de l’appelant et de l’intérêt de la société, qu’une peine d’emprisonnement de deux ans moins un jour était manifestement non indiquée. […]

[58] L’emprisonnement avec sursis peut être vu comme un adoucissement de la peine, mais il n’en demeure pas moins que cette mesure constitue une peine d’emprisonnement et qu’elle sert bien les objectifs de dénonciation et de dissuasion lorsque les circonstances de l’affaire le justifient.

[59] Dans l’arrêt Proulx prononcé en 2000, la Cour suprême a rétabli la peine d’emprisonnement avec sursis de 21 mois prononcée par le juge de première instance relativement à un chef d’agression sexuelle et de grossière indécence impliquant une dizaine d’événements, dont des masturbations et des fellations, sur un enfant entre l’âge de 6 et 12 ans. L’infraction avait été commise 25 ans auparavant et l’accusé était réhabilité. Le juge en chef Lamer y écrit :

[100] L’emprisonnement avec sursis peut donc permettre la réalisation d’objectifs punitifs et correctifs. Dans la mesure où ces deux types d’objectifs peuvent être atteints dans un cas donné, l’emprisonnement avec sursis est probablement une sanction préférable à l’incarcération. Par contre, lorsque le besoin de punition est particulièrement pressant et qu’il y a peu de chances de réaliser des objectifs correctifs, l’incarcération constitue vraisemblablement la sanction la plus intéressante. Cependant, même dans les cas où la réalisation d’objectifs correctifs ne serait pas une tâche facile, l’emprisonnement avec sursis est préférable à l’incarcération lorsqu’il permet de réaliser aussi efficacement que celle‑ci les objectifs de dénonciation et de dissuasion. C’est ce qui ressort du principe de modération qui est exprimé aux al. 718.2d) et e) et qui milite en faveur de l’application de sanctions autres que l’incarcération lorsque les circonstances le justifient.

[…]

[107] L’incarcération, qui est habituellement une sanction plus sévère, peut avoir un effet plus dissuasif que l’emprisonnement avec sursis. Les juges doivent cependant prendre soin de ne pas accorder un poids excessif à la dissuasion quand ils choisissent entre l’incarcération et l’emprisonnement avec sursis : voir Wismayer, précité, à la p. 36. La preuve empirique suggère que l’effet dissuasif de l’incarcération est incertain: voir, généralement, Réformer la sentence: une approche canadienne, op. cit., aux pp. 150 et 151.  Qui plus est, l’emprisonnement avec sursis peut avoir un effet dissuasif général appréciable si l’ordonnance est assortie de conditions suffisamment punitives et si le public est informé de la sévérité de ces sanctions. Un autre moyen de réaliser l’objectif de dissuasion générale est le recours à des ordonnances de service communautaire, notamment des ordonnances dans le cadre desquelles le délinquant serait tenu de parler à des membres du public des maux engendrés par son comportement criminel, dans la mesure où le délinquant est ouvert à une telle condition. Néanmoins, il peut y avoir des circonstances où le besoin de dissuasion justifie l’incarcération du délinquant. Une telle décision dépend en partie de la question de savoir s’il s’agit d’une infraction pour laquelle les conséquences de l’incarcération sont susceptibles d’avoir un effet dissuasif réel, ainsi que des circonstances propres à la collectivité au sein de laquelle l’infraction a été perpétrée.

[…]

[114] Lorsque des objectifs punitifs tels que la dénonciation et la dissuasion sont particulièrement pressants, par exemple en présence de circonstances aggravantes, l’incarcération sera généralement la sanction préférable, et ce en dépit du fait que l’emprisonnement avec sursis pourrait également permettre la réalisation d’objectifs correctifs. À l’inverse, selon de la nature des conditions imposées dans l’ordonnance de sursis, la durée de celle‑ci et la situation du délinquant et de la collectivité au sein de laquelle il purgera sa peine, il est possible que l’emprisonnement avec sursis ait un effet dénonciateur et dissuasif suffisant, même dans les cas où les objectifs correctifs présentent moins d’importance.

[115] Finalement, il convient de souligner que le sursis à l’emprisonnement peut être octroyé même dans les cas où il y a des circonstances aggravantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant. Il va de soi que la présence de circonstances aggravantes augmentera le besoin de dénonciation et de dissuasion. Toutefois, il serait erroné d’écarter d’emblée la possibilité de l’octroi du sursis à l’emprisonnement pour cette seule raison.  Je le répète, il faut apprécier chaque cas individuellement.

[116] Il arrive fréquemment que le juge qui détermine la peine se trouve devant une situation où certains objectifs militent en faveur de l’octroi du sursis à l’emprisonnement et d’autres en faveur de l’emprisonnement. En pareils cas, le juge du procès doit soupeser ces divers objectifs pour déterminer la peine appropriée.  Comme a expliqué le juge La Forest dans R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309 à la p. 329, « [d]ans un système rationnel de détermination des peines, l’importance respective de la prévention, de la dissuasion, du châtiment et de la réinsertion sociale variera selon la nature du crime et la situation du délinquant ». Le juge ne dispose pas d’un critère ou d’une formule d’application simple à cet égard. Il faut s’en remettre au jugement et à la sagesse du juge qui détermine la peine, que le législateur a investi d’un pouvoir discrétionnaire considérable à cet égard à l’art. 718.3.

[60] Je suis d’avis que ces enseignements, établis bien avant que ne soit prononcé l’arrêt Friesen, sont encore pertinents et doivent être considérés, vu la volonté du législateur de permettre maintenant l’emprisonnement avec sursis relativement à une déclaration de culpabilité à un acte d’agression sexuelle, lorsque les circonstances le permettent et que les conditions nécessaires sont remplies.

[63] Le délinquant, âgé de 25 ans au moment du crime, est maintenant âgé de 76 ans; il s’agit d’un facteur neutre. Il n’a pas d’antécédents judiciaires. Aux yeux du juge, il est un actif pour la société et sa famille et l’a toujours été. Il a une santé précaire et le risque de récidive est presque nul. Les gestes posés sur la victime ne sont pas les plus objectivement graves dans le prisme de tels gestes et n’ont été réalisés qu’en une seule courte occasion. 

[64] Le préjudice subi par la victime est grave, ce qui justifie la mise en application des objectifs de dissuasion et de dénonciation et le prononcé d’une peine d’emprisonnement.

[65] Toutefois, la situation particulière qui nous est présentée justifie, à mon avis, que cet emprisonnement soit modulé aux besoins de l’affaire et qu’une pondération adéquate permette à l’appelant de bénéficier de l’emprisonnement avec sursis.

[67] Je suis donc d’avis que la peine juste et proportionnelle qui doit être prononcée contre l’appelant est une peine de 12 mois d’emprisonnement au sein de la collectivité […]

 

Décision complète disponible ici  

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