Les violations « consécutives » et le cadre d’analyse du par. 24(2) de la Charte canadienne

R. c. Zacharias, 2023 CSC 30

Aperçu

[1]  L’appelant, George Zacharias, a fait l’objet d’une interception routière sur l’autoroute. Après l’indication positive donnée par un chien renifleur concernant la présence de drogues dans le véhicule de l’appelant, la police a fouillé le véhicule et saisi plus de 100 livres de marijuana. L’appelant a été déclaré coupable de possession de marijuana en vue d’en faire le trafic. La juge du procès a conclu que la police avait violé les droits de l’appelant garantis par les art. 8 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés en effectuant une fouille à l’aide d’un chien renifleur et une détention aux fins d’enquête. […]

[2] À notre sens, les arrestations qui ont suivi la fouille effectuée à l’aide d’un chien renifleur dans la présente affaire violaient également la Charte. L’État ne peut pas se fonder sur des éléments de preuve obtenus illégalement afin de satisfaire à la condition requise pour qu’il y ait arrestation, soit la présence de motifs raisonnables et probables. Lorsque le tribunal conclut qu’il y a eu violation de la Charte, il doit en tenir compte lors de l’analyse fondée sur le par. 24(2). Toutefois, à défaut d’une inconduite additionnelle ou indépendante de l’État, une violation qui découle entièrement d’une violation initiale est peu susceptible d’accroître considérablement la gravité globale de la conduite de l’État portant atteinte à un droit garanti par la Charte  à l’étape de l’analyse fondée sur le par. 24(2). Une violation consécutive sera plutôt davantage pertinente en ce qui a trait à l’incidence sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte.

[3] […] [B]ien que nous reconnaissions que les arrestations et les fouilles accessoires à l’arrestation dans la présente affaire constituaient des violations additionnelles de la Charte, nous sommes d’avis de confirmer la décision de ne pas écarter les éléments de preuve sur le fondement du par. 24(2) de la Charte. En conséquence, l’appel est rejeté.

Illégalité d’une arrestation fondée sur une fouille illégale

[26] […] [S]uivant une approche fondée sur des principes à l’égard de la Charte, la police ne peut pas s’appuyer sur des éléments de preuve obtenus illégalement afin d’effectuer une arrestation sans mandat. Lorsque les motifs d’arrestation sont fondés sur des éléments de preuve qui sont ultérieurement jugés avoir été obtenus illégalement, le tribunal doit retrancher ces éléments de preuve du fondement factuel afin de déterminer si la police avait des motifs raisonnables et probables de procéder à l’arrestation.

[30] La conclusion selon laquelle les motifs raisonnables justifiant une arrestation légale ne peuvent découler d’actes qui comportent des violations de la Charte est conforme aux considérations de principe et de politique générale. De fait, cette conclusion est un prolongement logique des principes applicables dans d’autres contextes où une violation initiale de la Charte est à l’origine d’actes subséquents de l’État. Une fouille illégale, par exemple, ne peut fournir les motifs nécessaires pour l’obtention d’un mandat de perquisition […] De même, l’arrestation légale est une condition préalable à toute fouille qui y est effectuée accessoirement […]

[32] Le besoin de faire en sorte que l’État ne puisse pas s’appuyer sur une conduite qui viole la Charte s’applique peu importe si la police contrevient sciemment ou non à la loi. […]

Distinction entre retranchement et exclusion des éléments illégalement obtenus  

[44] […] nous nous arrêtons pour souligner la distinction importante qui existe entre le retranchement et l’exclusion. Lorsque des motifs d’arrestation sont fondés sur des éléments de preuve obtenus de façon inconstitutionnelle, ces éléments doivent être retranchés du fondement factuel. Toutefois, nous n’écartons pas la possibilité qu’il y ait des situations où, même après le retranchement de tels éléments de preuve, le policier procédant à l’arrestation satisfait néanmoins à la norme des motifs raisonnables et probables justifiant une arrestation. Par exemple, si un policier arrête une personne après avoir effectué une fouille illégale, mais que la preuve ainsi découverte ne constitue qu’un des facteurs ayant mené à la décision de procéder à l’arrestation, l’arrestation sera tout de même légale si les autres éléments de preuve suffisent à démontrer l’existence de motifs raisonnables et probables.

[45] En outre, la règle du retranchement automatique ne crée pas […] de règles d’exclusion catégoriques » […] La question de savoir s’il y a eu violation de la Charte est distincte de celle de savoir si les éléments de preuve obtenus par suite de cette violation devraient être exclus du procès. Cette dernière question est examinée à l’étape de l’analyse fondée sur le par. 24(2), où le tribunal tient compte de l’ensemble des circonstances afin de déterminer si, tout bien considéré, le fait d’utiliser ces éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. 

Arrestation illégale en tant que violation « consécutive » dans le cadre de l’analyse fondée sur le par. 24(2)

[47]  Lorsqu’une arrestation est illégale parce qu’elle repose sur les résultats d’une violation de la Charte, c’est cette violation initiale qui rend les actions suivantes illégales. Autrement dit, il s’agit d’une situation de violations de la Charte liées ou « en cascade » […] Nous employons le terme « consécutive » pour désigner de telles violations dans le cadre de l’analyse fondée sur le par. 24(2), parce que l’arrestation subséquente n’est illégale qu’en conséquence de la violation ou des violations « initiales » l’ayant précédée.

[52] Une arrestation illégale qui constitue une violation consécutive doit être prise en compte lors de la première et de la deuxième étapes de l’analyse fondée sur le par. 24(2), mais est peu susceptible d’avoir une incidence importante sur la gravité globale de la conduite de l’État portant atteinte à un droit garanti par la Charte. En l’absence d’inconduite additionnelle de l’État, le point de mire de l’évaluation de la gravité demeurera vraisemblablement la violation initiale : en l’espèce, la fouille illégale précédente. Lorsque, comme en l’espèce, la conduite policière n’est fautive que dans une mesure « minime », la gravité de la violation initiale aura tendance à se situer au bas de l’échelle. Toutefois, dans d’autres affaires, l’inconduite initiale peut être qualifiée de plus grave; par exemple, si la conduite policière a été commise par inadvertance, mais était encore plus fautive. Dans ce dernier cas, bien que l’arrestation qui en découle soit toujours peu susceptible d’accroître considérablement la gravité globale de l’inconduite, la gravité serait déjà plus élevée étant donné que le point de mire est la violation initiale. 

[59] […] Une violation « consécutive » n’est pas un nouveau « type » de violation de la Charte. Il ne sera pas nécessaire ni utile dans chaque cas de déterminer si la série d’actes de l’État comporte une violation « consécutive ». Cependant, cela sert de guide dans les cas où une arrestation découle d’une fouille, et que les deux sont jugées illégales lors du contrôle judiciaire. Dans de tels cas, le tribunal doit évaluer la gravité de la fouille ainsi que de l’arrestation. Cette dernière, étant donné que l’on s’attend à ce qu’elle ait lieu dans les circonstances, est peu susceptible d’accroître considérablement la gravité globale de la conduite de l’État portant atteinte à un droit garanti par la Charte, mais elle se traduira souvent par une incidence plus importante sur les intérêts de l’individu protégés par la Charte. De cette façon, l’analyse fondée sur le par. 24(2) ne devient pas une règle d’exclusion automatique, alors que le tribunal tient par ailleurs pleinement compte de l’incidence sur les intérêts de l’accusé protégés par la Charte.

Décision complète disponible ici  

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