Nouveau procès pour meurtre en raison de directives au jury inadéquates sur les versions contradictoires

Hunt c. R., 2022 QCCA 805

[34]  […] [L]orsque la crédibilité est au centre du litige, le jury doit comprendre qu’un doute raisonnable peut émaner d’un témoignage, même s’il ne le retient pas comme vrai. En d’autres termes, même s’il ne peut affirmer que le témoignage est vrai, celui-ci peut néanmoins susciter un doute raisonnable. Si cette règle s’applique à la version de l’accusé, rien ne permet de croire qu’elle ne s’applique pas à la version d’un témoin sur laquelle se fonde la défense et vitale à celle-ci. […]

[37] [M]ême si la deuxième étape du modèle décrit par le juge Cory dans R. c. W.(D.), précité, (« deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l’accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l’acquittement ») ne constitue pas un dictat immuable qui doit obligatoirement être répété sans nuance et sans en changer un iota, il reste que sa substance doit être transmise au jury. Il faut en livrer l’essentiel et il est donc nécessaire de rappeler au jury que l’acquittement n’est pas tributaire d’une conclusion de crédibilité de la version de l’accusé (ou, comme ici, du témoin de la défense). L’essentiel du message requérait en l’espèce une information que le jury n’a pas eue, comme je le démontrerai plus loin.

[49]   Le juge a conclu que la légitime défense et la nécessité étaient suffisamment vraisemblables pour être laissées à l’appréciation du jury. Il lui fallait donc instruire le jury sur leur portée et sur la notion de doute raisonnable qui leur est associée. En n’expliquant pas aux jurés qu’un doute raisonnable pouvait émaner du témoignage de Mme Binette, même s’ils ne retenaient pas son témoignage, et en indiquant qu’il fallait le retenir pour acquitter l’appelant, alors qu’il avait abordé précisément ces moyens de défense à deux reprises, le juge a commis une erreur qui ne peut être corrigée simplement en tenant compte de l’ensemble des directives. Le caractère général des directives aux endroits où le jury est correctement instruit sur la question ne peut pallier l’effet dévastateur des deux passages qui portaient justement sur ces défenses.

[55] Dans le présent dossier, je n’exige pas une formulation impérative. Je veux simplement que, si le juge donne une directive spécifique sur les moyens de défense, elle soit conforme aux exigences de la loi, c’est-à-dire que le jury comprenne, à ce moment précis et crucial, qu’il n’est pas obligé de retenir ou d’accepter un témoignage pour que le moyen de défense puisse soulever un doute raisonnable.

[56]  L’ensemble des directives est une chose. Le message qui est transmis en est une autre et, en l’espèce, il est au mieux ambigu. Je sais qu’il faut être pragmatique et tenir compte de l’ensemble des directives pour juger de leur légalité. Par contre, ici, l’ensemble des directives exige une écoute attentive de plusieurs heures tout en devant se satisfaire d’un message court, et surtout erroné, au moment d’aborder le nœud de l’affaire. Les généralités ne peuvent en l’espèce couvrir l’erreur alors que celle-ci porte sur l’aspect le plus litigieux du procès. Tout compte fait, ce n’est pas un cas […] où l’ensemble des directives permet de pallier l’erreur qui, en l’espèce, il ne faut pas l’oublier, est répétée. 

[83]  […] j’estime que la Cour doit accueillir l’appel et ordonner un nouveau procès, notamment en raison des directives en rapport avec le témoignage de Mme Mélanie Binette.

[Références omises]

Décision complète disponible ici

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