La Cour d’appel réitère la nécessité d’accueillir avec circonspection la requête en rejet sommaire

Accurso c. R., 2022 QCCA 752

[315] La précaution qui entoure l’exercice du pouvoir de rejeter sommairement une demande fondée sur la Charte repose sur la conséquence qui en découle : cette décision prive l’accusé d’une audition pour tenter d’établir la violation de ses droits constitutionnels.

[316] Or, il ne faut pas perdre de vue que « la décision historique d’enchâsser la Charte dans notre Constitution a été prise non pas par les tribunaux, mais par les représentants élus de la population canadienne. Ce sont ces représentants qui ont étendu la portée des décisions constitutionnelles et confié aux tribunaux cette responsabilité à la fois nouvelle et lourde ».

[317] À cet égard, la « Charte a apporté un changement de philosophie important quant à la réception de la preuve obtenue de façon irrégulière ou illégale », car elle « accorde une importance prépondérante aux droits de la personne ainsi qu’à l’équité et à l’intégrité du système judiciaire ».

[320] La reconnaissance de ces droits constitutionnels comprend le droit de saisir les tribunaux pour en assurer le respect. La protection des droits constitutionnels peut devenir purement illusoire si l’accès aux tribunaux est gêné ou nié indûment, même si cet accès n’est pas absolu. À mon avis, le principe de l’accès à la justice commande que les règles en matière de rejet sommaire « soient interprétées avec souplesse de manière à ne pas empêcher les [accusés] de faire valoir leurs droits constitutionnels ».

[321] Comme l’explique le juge Lamer dans l’arrêt Nelles c. Ontario, « il est indispensable pour assurer la sanction » d’une violation de la Charte « que [l’accusé] puisse s’adresser au tribunal compétent afin d’obtenir réparation », car « [c]réer un droit sans prévoir de redressement heurte de front l’un des objets de la Charte qui permet assurément aux tribunaux d’accorder une réparation en cas de violation de la Constitution ».

[323] Pour repousser une demande en rejet sommaire de la poursuite, l’accusé n’a pas à établir qu’il convaincra le juge de l’existence d’une violation de ses droits constitutionnels, mais seulement que celle-ci n’est pas manifestement frivole, car elle est susceptible d’être accueillie.

[324] Par ailleurs, la requête en rejet sommaire exige, comme toutes les demandes de la nature d’une irrecevabilité, que les faits allégués soient tenus pour avérés. À cette fin, le juge interprète les faits « de la manière la plus généreuse qui soit ». Certes, le principe d’accès aux tribunaux n’est pas absolu. Malgré cela, le rejet sommaire d’une demande fondée sur la Charte devrait obéir aux mêmes exigences que celles encadrant l’irrecevabilité dans d’autres circonstances.

[325] Pour conclure, la requête en rejet sommaire, notamment celle qui concerne la violation d’un droit constitutionnel, ne saurait donc être accueillie qu’avec circonspection. Comme l’expliquait récemment la Cour suprême dans l’arrêt Samaniego, « le pouvoir de gestion de l’instance est un outil essentiel et versatile; il doit toutefois être exercé avec prudence ».

Décision complète disponible ici

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Voir également dans l’arrêt R. c. Ouellet2021 QCCA 386, le commentaire du juge Jacques Chamberland, à la note de bas de page 4 :

« Cette stratégie de présenter une requête en irrecevabilité à l’encontre de la requête de la partie adverse, ici l’accusé, dans l’espoir d’en obtenir le rejet sommaire me semble à déconseiller, sauf dans les rares cas où la requête apparaît à sa face même frivole […] En l’espèce, les parties ont passé deux jours à plaider cette requête pour ensuite, à la suite de son rejet, passer deux autres jours à débattre de la requête en arrêt des procédures, reprenant ainsi, dans une large mesure, ce qu’elles avaient déjà dit dans les deux jours précédents. À mon avis, un gaspillage inutile de temps, d’énergie et de ressources pour les parties et pour le système judiciaire. Dans la très vaste majorité des cas, il me semble mieux avisé de plaider tous les arguments en même temps, une seule fois. À vouloir sauver du temps, il arrive souvent qu’on en perde! »

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