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Peine minimale d’un an pour l’infraction de leurre déclarée inopérante

infraction-de-leurre-declaree-inoperanteR. c. Bertrand-Marchand, 2021 QCCA 1285 

[66] Le 11 mars 2020, la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Témiscamingue (l’honorable Marie-Claude Bélanger), le condamne à une peine de dix mois d’emprisonnement sur le chef d’attouchements sexuels et à cinq mois d’emprisonnement concurrents sur celui de leurre. La juge conclut par ailleurs que la peine minimale obligatoire d’un an d’emprisonnement prévue à l’alinéa 172.1(2)a) C.cr. pour l’infraction de leurre est disproportionnée, vu les circonstances de sa commission en l’espèce et celles propres à l’intimé, et qu’elle contrevient donc à l’article 12 de la Charte. Elle la déclare en conséquence inopérante à l’égard de l’intimé.

[101] En notant qu’il ne s’agit pas ici d’un cas classique où un prédateur empruntant une identité factice, ou autrement la ruse, trouve ou attire une proie d’âge mineur sur Internet pour lui faciliter ensuite la commission d’infractions de nature sexuelle, la juge ne commet aucune erreur. Comme elle le mentionne, référant à l’usage que l’intimé a fait en l’espèce des médias sociaux : « [i]l s’agit de communications qui mènent à la répétition des rencontres sexuelles », lesquelles, ajoutons-le, avaient débuté au moins un an et demi auparavant, durant une période, au surplus, non visée par l’accusation de leurre.

[104] Ainsi, bien que l’article 718.01 C.cr. enjoigne le tribunal, lorsqu’il impose une peine pour une infraction qui constitue un mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de 18 ans, d’accorder une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion, il ne retire pas de ce fait le pouvoir discrétionnaire du juge d’individualiser la peine eu égard à toutes les circonstances de l’infraction, ainsi qu’aux caractéristiques propres à l’accusé. La tâche essentielle du juge consiste à pondérer et à mettre en équilibre ces objectifs, les objectifs d’exemplarité et de dissuasion devant, par exemple, être tempérés par les principes et objectifs d’individualisation et de proportionnalité de la peine.

[105] En somme, considérant la norme d’intervention applicable en matière d’appel de la sentence, nous concluons qu’il n’y a pas lieu d’intervenir afin de revoir à la hausse la peine d’emprisonnement de cinq mois que la juge a imposée à l’intimé pour l’infraction de leurre. Elle a eu raison de considérer que l’objectif de dissuasion générale associé par le législateur à la peine minimale obligatoire ne saurait justifier d’infliger à l’intimé une peine exagérément disproportionnée au vu des circonstances particulières de l’infraction et de son degré de responsabilité morale. Certes, la peine qu’elle a imposée peut, surtout à la lumière des enseignements dans Friesen, paraître clémente. Nous ne pouvons toutefois conclure, compte tenu de l’accusation telle que portée, plus précisément de la période visée, des circonstances particulières du dossier et de la preuve partielle dont nous disposons en appel quant à la teneur des échanges entre les parties sur les médias sociaux pour la période de décembre 2014 à septembre 2015, que cette peine est exagérément clémente, manifestement non indiquée ou que la juge a autrement commis une erreur de principe justifiant notre intervention. 

[121] Comme on l’a vu, la juge a effectivement conclu qu’imposer la peine minimale obligatoire d’un an d’emprisonnement à l’intimé pour l’infraction de leurre telle que circonscrite par le chef d’accusation et compte tenu des circonstances de sa commission serait « totalement disproportionné à son endroit » et qu’il y avait donc lieu de la déclarer inopérante dans cette mesure. Pour la juge, un public bien informé serait outré de l’imposition de cette peine de détention à l’intimé compte tenu de l’ensemble des circonstances. On comprend que, pour elle, ce même public comprendrait à l’inverse que l’intimé ne doit pas se voir imposer une peine aussi sévère que celle que commande en principe l’alinéa 172.1(2)a) C.cr.

[122] Étant donné cette conclusion, que nous estimons correcte et qui scelle le sort de la peine minimale obligatoire au regard de l’article 12 de la Charte, la juge n’avait pas à pousser son analyse plus loin et à étudier les applications raisonnablement prévisibles de la peine minimale obligatoire. […]

[130] Pour tous ces motifs, nous proposons donc d’accueillir la requête en autorisation d’appel, de rejeter l’appel et de déclarer que la peine minimale obligatoire prévue à l’article 172.1(2)a) C.cr. enfreint l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés dans le cas de l’intimé et qu’elle est inopérante à son égard.

Motifs du juge Lévesque (dissident) : par. 7 à 64

Décision complète disponible ici

Décision en première instance disponible ici

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