Droit à une seconde consultation d’un avocat lorsqu’une conduite policière mine et dénature les conseils juridiques reçus

R. c. Dussault, 2022 CSC 16

[1] Patrick Dussault a été arrêté relativement à des accusations de meurtre et d’incendie criminel. Il a été informé de ses droits et emmené au poste de police, où il a parlé au téléphone avec un avocat pendant environ 10 minutes. L’avocat et lui ont mis fin à l’appel, croyant que les policiers avaient accepté de leur permettre de continuer leur conversation au poste de police. Quand l’avocat est arrivé au poste, les policiers ne l’ont pas laissé rencontrer M. Dussault. Avant que M. Dussault ne parle de nouveau à l’avocat, il a été interrogé et il a fait une déclaration incriminante.

 

[34] Une fois qu’un détenu a consulté un avocat, les policiers ont le droit de commencer à recueillir des éléments de preuve, et c’est uniquement de façon exceptionnelle qu’il sont obligés de lui offrir une possibilité additionnelle de recevoir des conseils juridiques. Dans l’arrêt Sinclair, la juge en chef McLachlin et la juge Charron, qui ont rédigé les motifs de la majorité, ont expliqué que le droit a jusqu’ici reconnu trois catégories de « changement[s] de circonstances » pouvant faire renaître le droit d’un détenu à l’assistance d’un avocat : « […] le détenu est soumis à des mesures additionnelles; un changement est survenu dans les risques courus par le détenu; il existe des raisons de croire que les renseignements fournis initialement comportent des lacunes » (par. 2). Bien entendu, pour que l’un ou l’autre de ces « changement[s] de circonstances » donne naissance au droit de consulter de nouveau, il doit être « objectivement observable ».

 

[39] La confiance d’un détenu en son avocat est à la base de la relation avocat‑client et elle favorise la prestation efficace des conseils juridiques […] Lorsque la police mine la confiance d’un détenu en son avocat, il peut s’ensuivre, comme il a été mentionné dans Sinclair, que les conseils juridiques que ce dernier a déjà fournis — même s’ils étaient parfaitement exacts au moment où ils l’ont été — soient en conséquence « dénatur[és] ou […] rédui[ts] à néant ». L’arrêt Sinclair oblige les policiers à accorder de nouveau au détenu le droit de consulter un avocat afin de faire contrepoids à de tels effets.

 

[45] Pour dire les choses simplement, l’objet de l’al. 10b) consiste à fournir à la personne détenue la possibilité d’obtenir des conseils juridiques propres à sa situation juridique. Comme il a été souligné précédemment, les conseils juridiques visent à faire en sorte que « la décision du détenu de coopérer ou non à l’enquête soit à la fois libre et éclairée ». Les conseils juridiques reçus par un détenu peuvent remplir cette fonction uniquement si le détenu les considère comme juridiquement corrects et fiables. La réalisation de l’objet de l’al. 10b) sera contrecarrée par une conduite policière qui amène le détenu à mettre en doute l’exactitude juridique des conseils qu’il a reçus ou la fiabilité de l’avocat qui les a donnés. Il est justifié de dire d’une telle conduite policière qu’elle « mine » les conseils juridiques que le détenu a reçus. La présence d’indices objectivement observables que les conseils juridiques fournis au détenu ont été minés fait naître le droit à une seconde consultation. En revanche, le droit de consulter de nouveau un avocat ne sera pas déclenché par des tactiques policières légitimes qui persuadent un détenu de coopérer sans miner les conseils qu’il a reçus. […]

 

[46] Je suis convaincu que la conduite des policiers dans la présente affaire a eu pour effet d’amener M. Dussault à croire, premièrement, qu’une consultation en personne avec Me Benoît aurait lieu, et, deuxièmement, que Me Benoît n’était pas venu au poste de police en vue de cette consultation. Cela a eu pour effet de miner les conseils juridiques que Me Benoît avait donnés à M. Dussault durant leur conversation téléphonique. Fait important, il existait des indices objectivement observables que c’était le cas. À mon avis, ces indices ont fait naître l’obligation pour les policiers de fournir à M. Dussault une seconde possibilité de consulter un avocat. Les policiers ne se sont pas acquittés de cette obligation et, ce faisant, ils ont violé le droit de M. Dussault à l’assistance d’un avocat.

 

[57] La Couronne a concédé, à juste titre selon moi, que la déclaration incriminante de M. Dussault devrait être écartée en application du par. 24(2) de la Charte si elle a été obtenue en violation de l’al. 10b).

 

Décision complète disponible ici

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