La raisonnabilité du geste posé en légitime défense s’apprécie en fonction de la force employée 

Robitaille Drouin c. R., 2022 QCCA 233

[27] Pour évaluer la raisonnabilité de la réaction de l’appelant, le juge devait soigneusement examiner les circonstances de l’incident, de manière globale et holistique, à la lumière des facteurs énoncés au paragraphe 34(2) du Code criminel.

[28]   Or, le juge ne tient pas adéquatement compte du rôle joué, de la nature des fonctions et des responsabilités de l’appelant tout au long de l’incident vu dans sa globalité, à partir de sa première intervention auprès du plaignant jusqu’à la conclusion malheureuse. Cette erreur se répercute tant sur l’analyse du mobile que de la réaction. Sur ce dernier point, l’analyse de la proportionnalité est laconique, alors que le juge se concentre sur le coup de poing porté à l’extérieur de l’établissement et à ses conséquences dramatiques sur le plaignant.

[29]  L’appelant agissait en tant que portier dans un Cabaret de danseuses érotiques. Il était responsable de maintenir l’ordre au sein de l’établissement et d’assurer la sécurité des employés et des clients. Il est possible de penser qu’il exerçait un « rôle prosocial » dont l’exercice peut avoir un impact sur l’évaluation de la légitime défense. […]

[30] L’appelant semblait agir à l’intérieur du périmètre de ses fonctions tout au long de la trame factuelle, alors qu’il tentait de neutraliser les comportements perturbateurs de deux clients intoxiqués et très agressif dans le cas du plaignant.

[31] Ayant déterminé que les deux clients devaient être expulsés des lieux, l’appelant a appliqué une série de mesures, selon une gradation qui pourrait apparaître proportionnelle à l’augmentation de l’agressivité du plaignant tout au cours de l’incident.

[32] Initialement, l’appelant a verbalement intimé les clients de quitter les lieux; il a par la suite dû pousser le plaignant en raison de son comportement menaçant au vestiaire, pour assurer sa sécurité; cette action a été suivie d’une première expulsion alors que le plaignant venait de menacer l’appelant de mort; puis d’une deuxième, après que le plaignant s’en fut pris physiquement à lui en le saisissant fermement par le cou.

[33] Le juge se concentre sur les derniers événements survenus à l’extérieur de l’établissement alors que, compte tenu des circonstances particulières de cette affaire, l’ensemble de la trame factuelle, de la genèse de l’incident jusqu’à sa conclusion malheureuse, se devait d’être considéré soigneusement dans l’évaluation de la légitime défense. Ce défaut constitue à mon avis une erreur de droit.

[34]  Le juge ne pouvait évidemment faire abstraction de l’extrême gravité des blessures subies par le plaignant à la suite du coup de poing porté par l’appelant. Cependant, encore une fois, cet état de fait ne devait pas obscurcir la considération du contexte de l’incident dans son ensemble pour juger de la raisonnabilité de l’emploi de la force.

[35] Le droit de repousser une attaque comprend celui de répliquer physiquement. En ce qui concerne l’ampleur de la réplique, la personne qui agit en légitime défense ne peut être tenue de mesurer, et peut de toute manière ne pas être capable de calibrer avec précision dans le feu de l’action le degré de force requis pour repousser une agression imminente. Il faut éviter d’évaluer la proportionnalité de la réponse en rétrospective et de manière non contextualisée, en se fondant uniquement ou exagérément sur la gravité des blessures qui ont été occasionnées au plaignant.

[36]  Si les blessures et la gravité de celles-ci peuvent être pertinentes pour jauger de la proportionnalité de la réponse, c’est la force employée par l’accusé qui doit être jugée raisonnable et non pas ses conséquences.

[37]   À mon avis, le juge n’a pas adéquatement tenu compte de ces considérations sur l’évaluation de la légitime défense.

Décision complète disponible ici

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