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La légitime défense et la prise en compte du rôle joué par l’accusé lors de l’incident

R. c. Khill, 2021 CSC 37
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[2] Les contours de notre droit de la légitime défense sont rattachés à nos conceptions de culpabilité, culpabilité morale et comportement humain acceptable. Dans la mesure où la légitime défense justifie ou excuse moralement la conduite par ailleurs criminelle de la personne accusée et la rend non coupable, elle ne saurait reposer exclusivement sur la perception qu’a la personne accusée du besoin d’agir. Autrement dit, tuer ou blesser une autre personne ne saurait être légitime du seul fait que la personne accusée croyait nécessaire de le faire. La légitime défense commande une perspective sociétale plus large. Par conséquent, une des conditions importantes qui limite la possibilité d’invoquer la légitime défense est que la personne accusée doit avoir agi de façon raisonnable dans les circonstances. Les juges des faits sont tenus de prendre en compte un large éventail de facteurs pour déterminer ce qu’une personne raisonnable aurait fait dans une situation comparable.

[3] En mars 2013, les dispositions du Code criminel  sur la légitime défense remaniées par le Parlement sont entrées en vigueur. En plus d’élargir les infractions et les situations auxquelles la légitime défense pouvait s’appliquer, ces modifications ont accordé un degré sans précédent de souplesse aux juges des faits. Cette souplesse se manifeste clairement par l’exigence d’évaluer le caractère raisonnable de la réaction de la personne accusée par renvoi à une liste non exhaustive de facteurs, dont « le rôle joué par la personne lors de l’incident ». L’interprétation et la portée de cette nouvelle expression sont au cœur du présent pourvoi. 

[4] […] Bien que la question ultime soit de savoir si l’acte constituant l’accusation criminelle était raisonnable dans les circonstances, le jury doit prendre en compte la mesure dans laquelle la personne accusée a joué un rôle dans la genèse du conflit pour répondre à cette question. Il doit se demander si la conduite de la personne accusée tout au long de l’incident apporte un éclairage sur la nature et l’étendue de la responsabilité de la personne accusée à l’égard de l’affrontement final qui a abouti à l’acte ayant donné lieu à l’accusation.

[5] En l’espèce, le jury n’a pas reçu la directive de prendre en considération l’effet du rôle joué par M. Khill lors de l’incident sur le caractère raisonnable de sa réaction et je suis convaincue qu’il s’agissait là d’une erreur de droit qui a eu une incidence significative sur le verdict du jury.

[124] L’expression adoptée est large et neutre et renvoie à la conduite de la personne — comme ses gestes, omissions et exercices de jugement — au cours de l’incident, du début à la fin, qui est pertinente pour permettre d’établir si l’acte à l’origine de l’accusation était raisonnable — autrement dit, qui, selon la logique et le bon sens, pourrait tendre à rendre l’acte de la personne accusée plus ou moins raisonnable dans les circonstances. La conduite en question doit être pertinente à la fois sur le plan temporel et sur le plan comportemental à l’égard de l’incident. Il s’agit d’un test conjonctif. Cela comprend notamment tout comportement qui a créé ou causé l’affrontement ou qui y a contribué. Cette expression vise aussi la conduite qui relèverait des notions précédentes, comme la provocation ou l’illégalité, mais elle ne se limite pas à ces notions ni n’est circonscrite par celles‑ci. Elle s’applique donc à toute conduite pertinente, qu’elle soit légale ou non, provocatrice ou non, répréhensible ou non, et qu’elle constitue une réaction minimale ou excessive. De cette façon, l’acte de la personne accusée, examiné dans son contexte global et à la lumière du [traduction] « caractère équitable de la situation », est mesuré par rapport aux normes sociales, et non par rapport au code moral propre à la personne accusée (Paciocco (2014), p. 290; Phillips, par. 98).

Décision complète disponible ici.

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