La perte de contrôle résultant d’une peur intense peut donner ouverture à la défense de provocation

Mauricin c. R., 2022 QCCA 896

[11]  Le juge du procès affirme lui-même que l’appelant a eu peur et qu’il a voulu se défendre. C’est sur cette base qu’il rejette la défense, puisque pour lui cela ne démontre pas une perte de contrôle. Or, ce même constat permet plausiblement au juge des faits d’y voir un doute raisonnable et d’accepter la défense de provocation. L’appelant explique avoir eu très peur, avoir réagi instinctivement et avoir perdu le contact avec la réalité (il ne ressentait plus la douleur liée aux coups de poing de la victime). Selon ses dires, la peur l’envahissait à un tel point que seul son instinct de survie lui a permis de réagir. Ces divers éléments permettent, à première vue, d’inférer qu’une perte de contrôle est plausible.

[12] Il ne s’agit évidemment pas d’un témoignage qui dénote une perte de contrôle liée à la colère. Il s’agit du témoignage d’une personne qui a pu perdre le contrôle en raison d’une grande peur, ce qui va nécessairement différer de par sa nature, de celui qui le perd à cause d’une grande colère. D’ailleurs, en reconnaissant que la colère n’est pas la seule émotion qui peut entraîner une perte de contrôle, et que plusieurs émotions peuvent engendrer une telle perte, il faut reconnaître qu’aux yeux d’un jury, cette perte de maîtrise peut se manifester différemment, s’expliquer différemment et que les éléments la démontrant seront différents.  

[13] La peur peut entraîner une réaction instinctive souvent expliquée par « l’instinct de survie », une réaction sur laquelle l’accusé n’a pas de contrôle, qu’il a sans en avoir conscience, sans y réfléchir. Il s’agit d’un indice qui rend au moins vraisemblable la perte de contrôle consécutive à une émotion intense, en l’occurrence la peur. Cette forme de réaction instinctive provoquée par la peur est certes associée typiquement à la légitime défense, mais elle peut tout autant suffire au stade de la vraisemblance d’une défense de provocation pour affirmer que l’appelant a agi sur l’impulsion du moment, sans avoir eu le temps de reprendre son sang‑froid. 

[14] De plus, comme en l’espèce, un jury pourrait rejeter la légitime défense sur la base que l’accusé n’a pas agi raisonnablement, mais tout de même considérer que la peur intense vécue par ce dernier lui a fait perdre toute maîtrise de lui et qu’il a agi impulsivement. Les deux interprétations ne sont pas inconciliables et peuvent cohabiter aisément sur un fondement suffisant de preuve. Il est alors impératif de présenter ce moyen de défense au juge des faits. 

[15]  Par ailleurs, bien que la peur ne constitue pas une défense autonome, et qu’il faut que la preuve soutienne une perte de contrôle, la lecture du témoignage de l’appelant n’exclut pas cette possibilité. 

Décision complète disponible ici

 ***

✨ Abonnez-vous à ma veille juridique pour être informé des plus récentes décisions prononcées par la Cour suprême du Canada ainsi que les décisions d’intérêt pour l’avocat.e-criminaliste rendues par la Cour d’appel du Québec.

✨ Rejoignez le groupe privé Facebook Le coin du criminaliste pour connaître les décisions favorables à la défense rendues au Québec, mais également par les cours d’appel canadiennes.

✨ Consultez mon site Internet pour en apprendre davantage sur mes services de recherche et de rédaction en droit criminel.

 

A lire également