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Inadmissibilité des aveux formulés dans le cadre d’une relation thérapeutique 

Chatillon c. R., 2022 QCCA 1072

[7] Olivier Chatillon (« l’appelant ») cherchait de l’aide. Il savait qu’il souffrait d’un problème lié à l’abus de substance et, aussi, d’un problème de la nature d’une déviance sexuelle. Dans une démarche entièrement volontaire pour recevoir des soins, à l’invitation des professionnels qui l’ont reçu en thérapie, l’appelant a avoué ses problèmes qui étaient, dans les circonstances, des crimes.

[58] […] il est indéniable que doit être considérée dans l’exercice la valeur fondamentale de la Charte qui protège contre l’auto-incrimination : art. 7, 10, 11 et 13 de la Charte. Utiliser les communications confidentielles entre un thérapeute et son patient comme unique preuve de culpabilité entre certainement en collision avec les valeurs de la Charte

[60] En l’espèce, il ne s’agit pas d’appliquer les garanties constitutionnelles contre l’auto-incrimination dans un contexte d’aveux à des personnes qui ne sont pas des agents de l’État. Il y a cependant lieu de tenir compte de l’importance accordée par la loi suprême à la protection contre l’auto-incrimination lorsqu’il faut évaluer le caractère privilégié des rapports entre médecin-patient, ou plus généralement, entre thérapeute-patient. 

[70] Je n’ignore pas l’importance de mener à terme les procès criminels et qu’il se présentera des cas où les aveux d’une personne serviront contre elle, même lorsqu’ils sont donnés dans le cadre d’une relation thérapeutique. […] En l’espèce toutefois, la situation m’amène à conclure que les déclarations de l’appelant étaient privilégiées et inadmissibles en preuve.

[71] Il m’apparaît injuste et contraire aux valeurs de la Charte d’utiliser contre l’appelant ses aveux faits dans le cadre d’une démarche thérapeutique volontairement entreprise auprès d’un organisme traitant les déviances sexuelles afin de discuter de déviance sexuelle. Si, bien sûr, une déviance sexuelle n’a pas à constituer un crime, il demeure que la nature même des aveux est ici au cœur de la problématique et de l’aide recherchée. Il s’agit d’un élément contextuel important.

[72] Qui plus est, cette démarche fondamentalement personnelle et guidée par absolument aucun autre objectif que de vouloir régler un problème grave a été entreprise de bonne foi et en toute honnêteté.

[73] Je note enfin que la preuve révèle […] que l’appelant n’a jamais été informé, avant de faire ses aveux, que ceux-ci pouvaient servir à l’incriminer. Il est étonnant que l’organisme en cause n’ait pas un protocole plus clair pour l’accueil des candidats que ses représentants peuvent aisément expliquer, sachant, de toute évidence, que si tous les déviants sexuels n’ont pas commis un crime, ce sera le cas pour d’autres, comme l’appelant.

[74]  Enfin, aucun danger n’exigeait la neutralisation de l’appelant ou une action immédiate. […]  Il faut cependant tenir compte que les lois autorisent les professionnels à se libérer du secret et de la confidentialité de leurs rapports avec leurs patients uniquement dans des circonstances précises. L’état de compromission d’un enfant est l’exception édictée par la Loi sur la protection de la jeunesse, RLRQ c. P-34.1, article 38 à 39.1. Cette exception n’était pas constatée dans la présente affaire. Les lois prévoient également des mécanismes pour faire face aux dangers imminents que présentent certaines personnes qui consultent des professionnels tenus au secret et qu’ils peuvent alors prendre des mesures : voir notamment Code des professions, RLRQ c. C-26, art. 60.4; Code de déontologie des psychologues, RLRQ c C-26, r 212, art 18; Code de déontologie des médecins, RLRQ c M-9, r 17, art 20.

[75] Ces dispositions renforcent l’idée que notre société accorde une importance au secret des rapports entre les professionnels et leurs patients et s’accordent avec les valeurs de la Charte.

[76] Ne pas reconnaître qu’un privilège protège un aveu dans les circonstances de la présente affaire me semble aller à l’encontre du bon sens et décourage les personnes aux prises avec des déviances sexuelles de rechercher l’aide requise par leur état. Si la preuve ne permet pas de conclure avec certitude qu’un candidat ne se présenterait pas à une thérapie qui le mènera devant la cour criminelle, poser la question est sans doute y répondre. Contrairement au juge d’instance, j’estime qu’il s’agit d’une inférence probable, autorisée par la preuve et qui découle du bon sens.

[77] Puisque le ministère public admet que l’inadmissibilité des aveux de l’appelant entraîne son acquittement, je propose donc d’accueillir la requête pour permission d’appeler, d’accueillir l’appel et d’acquitter l’appelant.

Décision complète disponible ici

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