L’appréciation erronée du témoignage de l’accusée en se livrant à un «concours de crédibilité» justifie un nouveau procès

Dolbec c. R., 2022 QCCA 238

[25] L’appelante plaide que le juge s’est livré à un concours de crédibilité dont elle est ressortie perdante. La lecture du jugement lui donne raison.

[26] Au premier stade de son analyse, le juge conclut que l’appelante « n’a pas fourni un témoignage crédible ». Cette appréciation repose en grande partie sur les déterminations suivantes :

[103]   Elle est contredite par ces témoins sur plusieurs actes administratifs pertinents à ce litige comme :

L’émission des chèques pour payer les fournisseurs

– l’accusée prétend que les chèques sont émis et imprimés dès que les comptes sont entrés ou que la personne qui entre les comptes s’occupe d’émettre le chèque, alors que monsieur Jean Grégoire, propriétaire de l’entreprise, explique le fonctionnement où, à une certaine période au cours du mois, il demande une liste des fournisseurs à payer et détermine sur cette liste, ceux qu’il paiera, en fonction des liquidités disponibles.

Sur les dépôts à la banque

– l’accusée prétend préparer les dépôts, mais ne pas les apporter à la banque. La preuve démontre, par les témoignages crédibles de madame France Marquis et de monsieur Jean Grégoire qu’ils peuvent, à l’occasion, apporter les dépôts à la banque, mais que cela fait partie des tâches régulières de l’accusée et que cette situation n’a pas changé pour la période d’avril à août 2016.

Au sujet de la conciliation bancaire

– l’accusée prétend que la conciliation bancaire peut se faire à plusieurs personnes alors que la preuve démontre, tant par madame Beaudoin que par monsieur Grégoire, que la personne en charge de la comptabilité doit s’assurer de clore le mois et de concilier le tout. De plus, monsieur Jean Grégoire a été assez affirmatif sur le fait qu’à aucun moment il ne se mêle de la conciliation bancaire, contrairement à ce que soutient l’accusée. Elle est la seule, par ailleurs, à avoir soutenu que monsieur Grégoire lui a demandé de faire une conciliation à la semaine après son retour de Floride en avril. Il apparaît douteux qu’on puisse procéder à une conciliation bancaire hebdomadairement, compte tenu que la banque n’émet qu’un état de compte mensuel et que les documents pertinents ne sont pas encore reçus.

Au sujet de la gestion

– En ce qui concerne l’affirmation que Mélanie Grégoire serait la personne qui gère après le 1er février 2016, ceci est contredit par monsieur Jean Grégoire et Mélanie Grégoire elle-même. Bien que la compagnie était impliquée à l’époque dans une transaction de vente à Mélanie Grégoire, monsieur Jean Grégoire est demeuré en poste durant l’année 2016. Il s’occupait de l’administration jusqu’à ce que la transaction soit définitivement close entre lui et sa fille, ce qui s’est fait au début 2017.

[…]

[107]   De plus, lorsque l’accusée traite de la destruction d’une facture relativement au Salon des exposants en décembre 2015, ce n’est pas très crédible, compte tenu du fait que madame Grégoire affirme que les places des exposants sont gratuites. Donc, comment pouvait-on lui demander de détruire des factures, s’il n’y avait pas de facture à émettre.

 

[27] Ces extraits illustrent la démarche suivie par le juge pour rejeter plusieurs aspects du témoignage de l’appelante au motif qu’il considère comme crédible la version des autres témoins. En somme, l’appelante n’est pas crue parce que les événements se sont plutôt déroulés comme l’affirment d’autres témoins.

[28] En procédant de cette façon, le juge ne faisait que se livrer à un « concours de crédibilité » et abaissait ainsi le fardeau de conviction à celui de la prépondérance de la preuve. […]

[29] La Cour a récemment énoncé que le rejet du témoignage d’un accusé a priori vraisemblable pour la seule raison qu’il est contredit par la version d’un autre témoin constitue « un raisonnement circulaire prohibé qui a pour effet d’éluder la question fondamentale que le juge devait se poser face à des versions contradictoires, c’est‑à‑dire : la preuve offerte par l’appelant, appréciée au regard de l’ensemble de la preuve, soulève-t-elle un doute raisonnable? ».

[30] Bien évidemment, le juge n’avait pas à s’adonner à une application mécanique de chaque étape de l’arrêt W. (D.) ni même à référer à cet arrêt ou encore suivre sa chronologie. Toutefois, la méthode retenue devait tendre à démontrer que le juge n’avait pas opposé deux versions pour retenir la plus plausible et que la justesse du verdict ne reposait pas sur un choix entre la preuve de la défense et celle de la poursuivante.

Décision complète disponible ici

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