Nouvelle norme relative au pouvoir de fouille accessoire à une arrestation dans un domicile

R. c. Stairs, 2022 CSC 11

[8] Mettant en balance les exigences de l’application efficace de la loi et le droit d’une personne au respect de sa vie privée chez elle, nous concluons que la norme de common law relative aux fouilles accessoires à une arrestation effectuées dans un domicile doit être modifiée, selon que l’espace visé par la fouille relève ou non du contrôle physique de la personne arrêtée. Lorsque l’espace faisant l’objet de la fouille relève du contrôle physique de la personne arrêtée, la norme de common law continue de s’appliquer. Toutefois, lorsque l’espace est hors de son contrôle physique, mais est toujours suffisamment lié à l’arrestation, la fouille accessoire à l’arrestation effectuée dans un domicile pour des raisons de sécurité sera valide seulement si les conditions suivantes sont respectées :

  • les policiers ont des raisons de soupçonner qu’il y a un risque pour leur sécurité, celle de l’accusé ou du public, qu’une fouille permettrait d’éviter;
  • la fouille n’est pas effectuée d’une manière abusive, et est adaptée aux intérêts élevés au respect de la vie privée dans un domicile.

Espace environnant l’arrestation

[59]   Une fouille accessoire à l’arrestation peut aussi viser l’espace environnant l’arrestation. Toutefois, cette notion doit être adaptée pour tenir compte des considérations uniques accompagnant la fouille dans un domicile. Nous devons donc faire une distinction entre deux sous‑catégories au sein de l’espace environnant l’arrestation :

 a)   l’espace relevant du contrôle physique de la personne arrêtée au moment de l’arrestation; et

 b)   les espaces se trouvant hors du contrôle physique de cette personne, mais qui font partie de l’espace environnant parce qu’ils sont suffisamment liés à l’arrestation.

Cette distinction vise la reconnaissance du fait que plus la fouille sans mandat est vaste, plus grande est la possibilité qu’il y ait violation de la vie privée. Comme nous l’expliquons ci‑dessous, différentes normes doivent s’appliquer à ces sous-catégories.

[60]  La tâche consistant à déterminer si un endroit précis fait partie de l’espace environnant l’arrestation et de quelle sous‑catégorie il relève incombe au juge du procès. Conformément à la jurisprudence de la Cour, la question de savoir si un espace est suffisamment lié à l’arrestation est contextuelle et propre à l’affaire. Il s’agit de savoir s’il y a un « lien entre le lieu et l’objet de la fouille et les motifs de l’arrestation » (R. c. Nolet, 2010 CSC 24, [2010] 1 R.C.S. 851, par. 49). Cette analyse est hautement contextuelle; la décision doit être prise en fonction d’une démarche téléologique afin que les policiers puissent répondre adéquatement à une grande variété de situations factuelles pouvant survenir. Selon les circonstances, l’espace environnant peut être plus ou moins vaste. Comme l’a souligné un savant auteur, [traduction] « [u]ne fouille accessoire à l’arrestation peut s’étendre à l’espace environnant et pourrait donc comprendre la fouille de l’immeuble ou du véhicule où l’accusé est arrêté » (S. Coughlan, Criminal Procedure (4e éd. 2020), p. 124).

La nature des soupçons raisonnables

[65] Lorsque les policiers procèdent à une fouille accessoire à une arrestation dans un domicile pour des raisons de sécurité, ils doivent avoir des raisons de soupçonner qu’une fouille des espaces se situant hors du contrôle physique de la personne arrêtée contribuera à l’atteinte de l’objectif valable de sécurité du public et des policiers, y compris celle de l’accusé. Cette norme modifiée, qui est plus rigoureuse que la norme de base de common law, respecte les intérêts au respect de la vie privée dans un domicile, tout en permettant aux policiers de s’acquitter efficacement de leurs responsabilités en matière d’application de la loi.

[66] À l’instar du critère de common law, l’objectif de la fouille doit être subjectivement lié à l’arrestation, et la conviction du policier que la fouille permettra de réaliser cet objectif doit être objectivement raisonnable. Toutefois, l’exigence relative à l’objectivité est plus rigoureuse. Pour y satisfaire, la Couronne doit établir des « faits objectifs [qui] font naître des soupçons raisonnables, de sorte qu’une personne raisonnable à la place du policier aurait soupçonné raisonnablement la tenue d’une activité criminelle » (R. c. Chehil, 2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220, par. 45).

 [68] […] pour établir l’existence de soupçons raisonnables, les policiers ont besoin d’un ensemble de faits objectivement discernables appréciés à la lumière de toutes les circonstances donnant lieu au risque soupçonné. Cette appréciation doit « s’appuyer sur des faits, être souple et relever du bon sens et de l’expérience pratique quotidienne » (Chehil, par. 29). De plus, les policiers doivent avoir des raisons de soupçonner que la fouille remédiera à ce risque. Toutefois, la norme des soupçons raisonnables est moins exigeante que celle des motifs raisonnables et probables parce qu’elle est fondée sur une possibilité et non sur une probabilité (Chehil, par. 32).

[69] La question de savoir si les circonstances d’un cas donné donnent lieu à des soupçons raisonnables doit être évaluée à la lumière de l’ensemble des circonstances (Chehil, par. 26). Les considérations suivantes pourraient être pertinentes : a) la nécessité d’une fouille; b) la nature du risque appréhendé; c) les conséquences potentielles de l’absence de prise de mesures de protection; d) l’existence d’autres mesures; et e) la probabilité que le risque envisagé existe réellement (R. c. Golub (1997), 34 O.R. (3d) 743 (C.A.), p. 758).

 Nature et étendue de la fouille

[80]  […] [L]a nature de la fouille doit être adaptée à son objectif précis, aux circonstances de l’arrestation et à la nature de l’infraction. En général, les policiers ne peuvent avoir recours au pouvoir de procéder à une fouille accessoire à l’arrestation pour justifier la fouille dans chaque recoin de la maison. La fouille accessoire à l’arrestation demeure une exception à la règle générale selon laquelle un mandat est requis pour justifier l’introduction dans le domicile. La fouille ne devrait pas être plus attentatoire que nécessaire pour écarter les soupçons raisonnables des policiers.

[81]   En outre, il serait bon que les policiers prennent des notes détaillées après avoir procédé à une fouille dans un domicile accessoirement à une arrestation. Ils devraient inscrire les endroits visés par la fouille, l’étendue de celle‑ci, l’heure à laquelle elle a eu lieu, son objectif et sa durée. Dans certains cas, des notes insuffisantes pourraient amener un juge du procès à tirer des conclusions préjudiciables ayant une incidence sur le caractère raisonnable de la fouille.

Le cadre d’analyse applicable

[82] En résumé, la fouille d’un domicile effectuée accessoirement à une arrestation pour des raisons de sécurité sera conforme à l’art. 8 de la Charte lorsque les conditions suivantes sont réunies :

(1) L’arrestation était légale.

(2) La fouille était accessoire à l’arrestation, ce qui est le cas lorsque les considérations suivantes sont respectées :

a) Lorsque l’espace visé par la fouille relève du contrôle physique de la personne arrêtée au moment de l’arrestation, la norme de common law oit être satisfaite.

 b) Lorsque l’espace visé par la fouille est hors du contrôle physique de la personne arrêtée au moment de l’arrestation — mais que l’espace est suffisamment lié à l’arrestation — les policiers doivent avoir des raisons de soupçonner que la fouille contribuera à l’atteinte de l’objectif de sécurité des policiers et du public, y compris celle de l’accusé.

(3) Lorsque l’espace visé par la fouille est hors du contrôle physique de la personne arrêtée au moment de l’arrestation — mais que l’espace est suffisamment lié à l’arrestation — la nature et l’étendue de la fouille doivent être adaptées à son objet et aux intérêts élevés au respect de la vie privée dans un domicile.

Décision complète disponible ici

 ***

✨ Abonnez-vous à ma veille juridique pour être informé des plus récentes décisions prononcées par la Cour suprême du Canada ainsi que les décisions d’intérêt pour l’avocat.e-criminaliste rendues par la Cour d’appel du Québec.

✨ Rejoignez le groupe privé Facebook Le coin du criminaliste pour connaître les décisions favorables à la défense rendues au Québec, mais également par les cours d’appel canadiennes.

✨ Consultez mon site Internet pour en apprendre davantage sur mes services de recherche et de rédaction en droit criminel.

 

A lire également