La Cour suprême du Canada ordonne l’arrêt des procédures en raison de la violation du droit d’être jugé dans un délai raisonnable

R. c. Hanan, 2023 CSC 12

[4] Même si le délai net dépassait le plafond prescrit dans Jordan, le juge du procès a refusé d’ordonner l’arrêt des procédures. Appliquant une mesure transitoire exceptionnelle, il a conclu que les parties s’étaient raisonnablement fondées sur le droit tel qu’il existait avant que Jordan ne soit rendu. Il a également suggéré que, bien que les parties aient été au fait de cet arrêt, elles n’avaient pas encore une [traduction] « compréhension approfondie des enseignements de l’affaire Jordan » (2019 ONSC 320, par. 277 (CanLII)).

[5] Avec égards, le juge du procès a fait erreur en statuant qu’une mesure transitoire exceptionnelle s’appliquait, et les juges majoritaires de la Cour d’appel [2022 ONCA 229] ont commis une erreur en confirmant sa décision.

[6] Premièrement, les parties ne pouvaient s’être raisonnablement fondées sur l’état du droit avant l’arrêt Jordan après le prononcé de cette décision en juillet 2016. De fait, les parties ne se sont pas fondées sur l’état du droit préalable à Jordan, puisqu’elles ont consciemment prévu la tenue d’un procès respectant le plafond fixé dans cet arrêt. Au contraire, comme a conclu notre Cour dans R. c. Cody, 2017 CSC 31, dans le cas des périodes écoulées postérieurement au prononcé de l’arrêt Jordan, il « faut plutôt s’attacher à la question de savoir si les parties et les tribunaux ont disposé de suffisamment de temps pour s’adapter » (par. 71). Comme l’a fait observer le juge d’appel Nordheimer, en dissidence, [traduction] « seule une très petite portion du délai en l’espèce s’est écoulée avant la décision dans l’affaire Jordan, et la majeure partie, voire la totalité, de ce délai a été imputée à la défense » (2022 ONCA 229, par. 143). En conséquence, le juge du procès a fait erreur en concluant que, dans la présente affaire, le délai était [traduction] « justifié par le fait que les parties se sont fondées raisonnablement sur l’état du droit antérieur » (par. 278).

[7] Deuxièmement, comme l’a à juste titre souligné le juge d’appel Nordheimer, le ministère public a eu [traduction] « amplement le temps » de s’adapter à l’arrêt Jordan (par. 148). Le délai excédant le plafond était dû non pas à un manque de temps empêchant le système d’améliorer les délais institutionnels enracinés, mais au refus du ministère public de consentir à la tenue d’un procès devant juge seul, et ce, malgré le fait qu’il avait été averti des conséquences possibles du délai, et le fait que l’affaire Jordan avait été décidée près de deux ans et demi auparavant. N’eût été la décision du ministère public, le procès se serait tenu en deçà du plafond. Cela démontre clairement que les parties et le système avaient disposé de suffisamment de temps pour s’adapter.

[8] Nous concluons qu’aucune mesure transitoire exceptionnelle ne s’applique en l’espèce. Il en résulte que le délai net d’environ 35 mois est un délai déraisonnable, contraire à l’al. 11b) de la Charte.

[9] À l’instar des juges majoritaires et du juge dissident de la Cour d’appel, nous rejetons la règle [traduction] « absolue » que suggère le ministère public et suivant laquelle tout délai qui s’écoule, jusqu’à la première date disponible, postérieurement au rejet par un avocat de la défense d’une date de procès proposée par le tribunal, doit être qualifié de délai imputable à la défense. […] Les délais imputables à la défense comprennent « les retards causés uniquement ou directement par sa conduite » ou « les périodes que la défense renonce à invoquer » (Jordan, par. 66). De plus, « les périodes durant lesquelles le tribunal et le ministère public ne sont pas disponibles ne constituent pas un délai imputable à la défense même si l’avocat de la défense n’est pas disponible lui non plus » (par. 64). Toutes les circonstances pertinentes devraient être considérées afin de déterminer comment la responsabilité du délai doit être répartie entre les différents acteurs (R. c. Boulanger, 2022 CSC 2, par. 8). Nous sommes d’accord avec les juges majoritaires et le juge dissident de la Cour d’appel pour dire que, eu égard aux circonstances de la présente affaire, il est injuste et déraisonnable de qualifier la totalité de la période comprise entre juin et octobre 2019 de délai imputable à la défense (par. 59 et 136).

[10] En conséquence, nous sommes d’avis d’accueillir l’appel, d’écarter les déclarations de culpabilité et d’ordonner l’arrêt des procédures.

Décision complète disponible ici  

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