Contre-interrogatoire relatif à une déclaration antérieure incompatible (art. 10 et 11 de la Loi sur la preuve au Canada)

Zakzuk Gaviria c. R., 2023 QCCA 317

[69] En l’espèce, il ne fait guère de doute que les conditions en question furent satisfaites au cours du contre-interrogatoire de Mme Cuervo. En effet, elle a soit nié avoir tenu les propos qu’on lui attribuait, soit déclaré (ou prétexté) qu’elle ne s’en souvenait pas (ce qui est assimilable à la notion de contradiction), soit affirmé que la policière avait fait erreur en prenant ses notes, soit nuancé le contenu du propos au point d’en atténuer voire d’en neutraliser l’incompatibilité. On se trouvait donc dans une situation cette fois semblable à celle de l’arrêt M.D., lorsque la partie qui contre-interroge « aurait pu prouver les extraits pertinents » de la déclaration antérieure. Mais encore faut-il en administrer une preuve recevable.

[70] Ici, on sait que, par l’effet de l’arrêt Stinchcombe, l’avocate de l’appelant était en possession des notes prises par la policière et qu’elle les a communiquées à Mme Cuervo avant l’audience. On voit même de la transcription du procès que l’avocate de l’appelant les a en main au cours de l’audience puisqu’elle demande à l’avocate de la poursuite de lui préciser à quelle page elle se trouve lorsque celle-ci décrit au témoin les déclarations antérieures incompatibles. Mais tout cela ne change rien à l’affaire. Ce que l’avocate de la poursuite a en main lorsqu’elle pose ces questions est un document contenant du ouï‑dire. Pour tabler sur la déclaration, apprécier la nature de la contradiction qu’on allègue contre le témoin, et en tirer des inférences sur sa crédibilité, il aurait fallu ici que la policière qui recueillit les paroles de Mme Cuervo et qui les consigna par écrit témoigne de ce fait au procès.

[71] L’intimé dans son mémoire soutient que faire la preuve de la déclaration antérieure n’était pas nécessaire. « Il s’agit d’une étape facultative », écrit-il. Ce peut parfois être le cas, tout dépend du contexte, mais ici la seule preuve des déclarations antérieures dont disposait la juge en était une qui en niait la pertinence – puisque, selon le témoin, rien dans ce qu’elle avait dit aux policières ne permettait d’accréditer la thèse de la poursuite.

[72]  Cela est d’autant plus problématique […] [que] la juge corrobore, en quelque sorte, son évaluation de la crédibilité du témoin en invoquant des faits (il ne s’agit plus de déclarations contradictoires mais de faits distincts) qui ne sont nulle part en preuve. Il tombe sous le sens, en effet, que ce qu’affirme l’avocate de la poursuite dans les questions qu’elle pose en contre-interrogeant le témoin ne fait aucunement preuve de l’existence des faits qu’elle décrit. Il aurait fallu beaucoup plus que cela pour conclure que la crédibilité du témoin avait été anéantie en contre-interrogatoire. Il est tout à fait possible, et cela pourrait vraisemblablement demeurer le cas, qu’une preuve administrée au procès des conditions de confection des notes d’enquête par la policière elle-même, ou de faits autres que des faits accessoires au sens de l’arrêt R. c. R. (D.), aurait amplement étayé la conclusion de la juge sur la crédibilité de Mme Cuervo, mais de telles preuves sont absentes du dossier. Et en leur absence, la présomption d’innocence commande un correctif.

[73] En l’occurrence, une poutre maîtresse de la défense offerte au procès était l’impossibilité pour l’appelant de se trouver le seul adulte dans la garderie pendant un laps de temps suffisamment long pour commettre les infractions qui lui étaient reprochées. Le témoignage de sa conjointe visait à établir cette impossibilité ou, à tout le moins, à soulever un doute raisonnable sur la culpabilité de l’appelant pour cette raison. En écartant ce témoignage à partir d’éléments d’information qui n’avaient pas fait l’objet d’une preuve valide, la juge faussait sensiblement la perspective dans laquelle il lui revenait de statuer sur la crédibilité de ce témoin. Cela compromet le verdict qu’elle a rendu […] et dans les circonstances il serait hasardeux de le confirmer. Il en est ainsi, pour reprendre les termes du juge Doherty dans l’arrêt Morrissey, « même si la preuve réellement produite au procès était susceptible d’étayer une déclaration de culpabilité ».

Décision complète disponible ici  

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