reinsertion-sociale

L’objectif pénologique de réinsertion sociale lorsque le délinquant toxicomane offre une réhabilitation convaincante

R. c. Blais, 2021 QCCA 1906

reinsertion-sociale

[1] L’appelante demande l’autorisation de se pourvoir contre un jugement de la Cour du Québec, district de Terrebonne (l’honorable Sophie Lavergne), imposant à l’intimé une peine de 90 jours d’emprisonnement à être purgés de manière discontinue relativement à trois chefs de vol qualifié, ainsi qu’une peine concurrente de 30 jours d’emprisonnement à être purgés de manière discontinue relativement au chef de vol de biens d’une valeur ne dépassant pas 5 000 $. Quant aux autres chefs de vol qualifié ainsi qu’à ceux de fraude, la juge a décidé de surseoir au prononcé de la peine tout en rendant une ordonnance de probation d’une durée de trois ans assortie de diverses conditions. L’une d’elles oblige l’intimé à effectuer 240 heures de travaux communautaires dans un délai de 18 mois.

[3] Certes, les crimes que l’intimé a reconnu avoir commis sont graves. Dans les dossiers de vols, les gestes ont été posés dans le cadre de six incidents survenus sur une période de quarante-huit heures quelques jours avant Noël, en 2018. L’intimé a utilisé une arme lors de la plupart de ces incidents et certaines de ses victimes étaient des personnes âgées. Dans l’un des dossiers de fraude, il a trahi la confiance de la grand-mère de sa conjointe en s’emparant de sa carte de débit pour ensuite lui dérober 11 500 $. Dans l’autre dossier de fraude, il a subtilisé 4 500 $ à son ancien employeur. En outre, il ressort de la preuve que certaines des victimes ont subi d’importants préjudices en raison des agissements de l’intimé.

[4] La juge de première instance était bien consciente de la gravité et des conséquences des crimes. Elle a notamment précisé avoir été troublée par la « terreur » que l’intimé avait fait subir à ses victimes.

[6] Reconnaissant que les objectifs de dénonciation et de dissuasion ont tendance à l’emporter dans une affaire comme celle-ci, la juge a affirmé que « [n]’eût été le cheminement exceptionnel de Monsieur Blais qui s’avère tout de même fragile, le Tribunal n’aurait aucune hésitation à imposer une lourde peine de pénitencier et même plus importante que celle que réclame le ministère public, puisqu’elle aurait été justifiée ».

[7] Elle a cependant jugé préférable, dans le contexte très particulier de l’espèce, de s’éloigner des fourchettes pertinentes et de privilégier l’objectif de réinsertion sociale. Elle s’est expliquée de manière détaillée et nuancée, en soulignant notamment — à l’instar du juge Lamer, alors de notre Cour, dans l’arrêt Lebovitch — que « la réhabilitation réelle et bien amorcée du délinquant depuis la commission des infractions peut permettre de conclure que l’imposition d’une peine d’emprisonnement n’est pas compatible avec les objectifs et principes liés à la détermination de la peine au moment où elle est rendue ». Elle a aussi noté avoir rarement vu un profil aussi positif d’un toxicomane qui, après avoir posé les bons gestes, était en voie de reprendre sa vie en main. Une peine d’emprisonnement, a-t-elle ajouté, mettrait certainement en péril les efforts de l’intimé et c’est la société qui, au final, en sortirait perdante.

[9] L’analyse à laquelle s’est livrée la juge est irréprochable en droit. Comme la Cour l’a rappelé en 2019, dans l’affaire Bernard, une preuve positive d’une réhabilitation concrète et bien amorcée est un facteur qu’il importe de prendre en considération au stade de la détermination de la peine, « surtout […] lorsque la toxicomanie sous-tend la problématique criminelle et que tous les indicateurs pointent vers une reprise en main ». Évidemment, cela ne veut pas dire que l’objectif de réinsertion doit alors toujours l’emporter et qu’une peine d’emprisonnement n’est jamais indiquée. Tout demeure question de circonstances, le principe selon lequel « la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant » gardant toute son importance.

[10]  S’agissant de l’application du cadre juridique aux faits de la présente affaire, l’appelante n’a pas démontré que les peines étaient manifestement non indiquées. Elle a insisté sur le fait que la juge aurait négligé les objectifs de dénonciation et de dissuasion, au point où les peines seraient si clémentes qu’elles seraient susceptibles de miner la confiance du public envers l’administration de la justice. Or, cet argument méconnait le fait — souvent reconnu en jurisprudence — que la décision de surseoir au prononcé de la peine, assortie d’une ordonnance de probation comportant des conditions strictes, peut servir de manière adéquate ces deux objectifs.

 ***

Décision complète disponible ici

*Recevez par courriel mes publications en vous inscrivant ici 

**Rejoignez le groupe privé Facebook (Le coin du criminaliste) afin d’être informé des plus récentes décisions d’intérêt favorables à la défense rendues au Québec, mais également au Canada ! 

A lire également