Nouveau procès en raison des erreurs du juge dans l’appréciation de la crédibilité de l’accusé et de la plaignante

Michaud c. R., 2023 QCCA 1012

L’omission de considérer des éléments de preuve importants et déterminants

[42] […] l’évaluation de la crédibilité de la plaignante par le juge est problématique. Il la croit d’emblée « parce qu’elle lui [a paru] sincère et fiable » et que « son propos est empreint d’émotion sincère ». Dès lors, ou bien les faiblesses et les contradictions dans le témoignage de la plaignante sont résolues à l’aune de sa crédibilité et de ce qu’elle a vécu, ou bien elles sont passées sous silence. Une telle approche est incompatible avec le principe du doute raisonnable.

[43] Ainsi, pour le juge, les « imperfections » soulevées à juste titre par l’avocat de l’appelant « s’expliquent dans le contexte de l’ensemble de son récit ». L’animosité de la plaignante envers l’appelant s’explique aussi par le fait qu’il la croit lorsqu’elle déclare n’avoir jamais eu de relation sexuelle avec un homme auparavant. Quant aux réponses données par la plaignante pouvant ressembler à des déductions, « le Tribunal la croit lorsqu’elle déclare avoir perdu contact avec la réalité et ainsi, elle ne peut préciser des détails dont elle n’a aucun souvenir ».

[44] S’appuyant sur la même logique, le juge croit la plaignante quant à son état d’esprit altéré, même si la preuve n’établit pas ce qui a causé cet état de « black out ». Or, selon le témoignage de la plaignante, l’appelant a mis quelque chose dans son verre, car il est impossible que ce qu’elle a consommé ce soir-là l’eût fait réagir ainsi. Il est à noter qu’aucune preuve d’expertise n’a été administrée sur les effets d’une intoxication par un psychotrope comme le GHB ni sur le délai d’élimination d’une telle substance.

[45] Je ne dis pas qu’une telle preuve était nécessaire, mais le juge devait évaluer la crédibilité et la fiabilité du témoignage de la plaignante eu égard à l’ensemble de la preuve (et à l’absence de preuve). Vu le témoignage de la plaignante sur sa tolérance à l’alcool et au cannabis, il aurait dû se demander si l’absence de preuve voulant que l’appelant l’ait droguée à son insu soulevait un doute raisonnable sur son état d’esprit altéré et expliquer sa conclusion. Mais parce qu’il croyait la plaignante, il ne s’est pas posé cette question.

[46] Le juge a ainsi évalué la crédibilité de la plaignante de façon circulaire et a privé l’appelant de toute possibilité de soulever un doute raisonnable sur l’absence de consentement et sur l’incapacité de la plaignante à consentir.

[49]  […] d’autres aspects de l’évaluation de la crédibilité de la plaignante me paraissent problématiques. Le juge, on l’a vu, insiste beaucoup sur l’apparente sincérité de la plaignante. Il s’appuie en cela sur « [l]’avantage pour le Tribunal de pouvoir voir et d’entendre un témoin » et sur le fait qu’il a vu la plaignante témoigner.

[50] Je suis bien consciente qu’apprécier la crédibilité ne relève pas de la science exacte et qu’il peut être très difficile pour le juge de première instance d’expliquer pourquoi il croit ou ne croit pas un témoin. Toutefois, comme le fait remarquer le juge Cournoyer dans l’arrêt Foomani c. R. : « [l]a culpabilité d’un accusé ne peut être déterminée en se fondant d’une manière indue sur l’impression que laisse l’apparente sincérité d’un témoin ». Un juge peut répéter à l’envi qu’il croit un témoin, cela n’ajoute rien à l’analyse; la question est plutôt celle de savoir pourquoi il le croit. L’avantage pour le juge d’avoir pu voir et entendre un témoin n’est pas, en soi, une raison de croire ce témoin.

[51] Par ailleurs, parmi les raisons qu’il donne pour croire la plaignante, le juge souligne à deux reprises que celle-ci « n’a pas tenté de tromper le Tribunal », notamment dans le choix des mots. Or, tout comme l’absence d’exagération, la perception qu’un témoin n’a pas tenté de tromper le tribunal ne peut servir à renforcer sa crédibilité, « car tant une déposition véridique qu’une déposition malhonnête peut ne contenir aucune exagération ou amplification ». Un mensonge peut fort bien ne pas être apparent. Encore ici, la perception du juge que la plaignante n’a pas tenté de le tromper est davantage une conclusion sur sa crédibilité (une autre façon de dire qu’il la croit) qu’une évaluation de la force probante de son témoignage.

Le contre-interrogatoire sur une conduite sexuelle antérieure

[72]  À mon avis, la preuve que l’appelant s’était déjà filmé en train d’avoir des relations sexuelles avec des femmes dans son salon était clairement inadmissible. L’appelant n’avait pas mis en cause sa bonne moralité ou sa bonne réputation pour démontrer qu’il n’était pas une personne susceptible de commettre une agression sexuelle ou pour rehausser sa crédibilité. La procureure de l’intimé n’avait donc pas le droit de le contre‑interroger sur ses « habitudes sexuelles, fantasmes exprimés » pour démontrer le contraire. Je ne vois pas en quoi cette lignée de questions pouvait permettre de croire ou de ne pas croire le témoignage de l’appelant.

[73] Le juge a donc erré en droit en permettant le contre-interrogatoire de l’appelant sur ce sujet. […]

[74]  Encore ici, je ne peux me convaincre que l’erreur du juge n’a eu aucun impact sur le verdict. On l’a vu, les hésitations et les réticences de l’appelant à répondre aux questions de la procureure de l’intimé sur un sujet embarrassant ont nui à sa crédibilité.

 

Décision complète disponible ici  

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