Nouveau procès en raison de l’insuffisance des motifs du juge de première instance composés d’un extrait de la plaidoirie écrite de la Couronne

R. c. A.T., 2023 QCCA 1018

[38] [L]a Cour est fort consciente de la difficile tâche qui incombe aux juges d’instance en matière criminelle, laquelle découle non seulement des drames humains et des affaires délicates dont ils sont fréquemment saisis, mais aussi d’un fort volume de dossiers et de ressources trop souvent limitées. […] Néanmoins, une tâche judiciaire difficile et délicate n’autorise pas un juge à choisir des raccourcis lorsque la difficulté augmente, au contraire. Une justice criminelle garante de la confiance du public, en faveur duquel l’obligation de motiver est établie, commande non seulement qu’il paraisse que justice a été rendue, mais que les justiciables, et les accusés en particulier, ne doutent pas que le juge saisi d’une affaire a apprécié les témoignages et la crédibilité des témoins de façon judiciaire, c’est-à-dire de façon rigoureuse, impartiale et à l’abri de toute influence indue. La facture générale du jugement entrepris ne satisfait pas ces exigences.

[47] Par ailleurs, si la Cour a observé à juste titre dans d’autres affaires l’« indulgence relative » dont les tribunaux d’appel doivent faire preuve à l’égard de jugements en matière criminelle rendus oralement en première instance dans des salles à volume, cette indulgence ne s’impose pas en l’espèce : le jugement entrepris, bien que rendu oralement, l’a été après quatre mois de délibéré et, comme on l’a vu, environ un mois après la réception par le juge des plaidoiries écrites qu’il avait requises des parties.

[48] Si un juge peut s’inspirer, voire utiliser, le plan de plaidoirie de l’une et/ou l’autre des parties aux fins de son jugement, la Cour suprême a tout de même souligné dans l’arrêt Cojocaru que le processus de formulation des motifs du jugement dans les propres mots du juge contribue à garantir qu’il a pris les questions en litige en considération et qu’il s’est formé une opinion à leur égard de façon indépendante.

[49]  Or, la facture générale du jugement, au vu de la preuve reproduite dans le dossier d’appel, n’offre pas cette garantie que le juge s’est formé une opinion de façon indépendante sur les contradictions dans la preuve et les questions en litige sur chacun des chefs d’accusation, particulièrement en raison de l’importation sans réserve et mot pour mot, lors du prononcé du jugement, de l’extrait de la plaidoirie écrite du ministère public concernant la question cruciale de la crédibilité de l’appelant. On comprend d’ailleurs mal au vu du dossier d’appel l’importance déterminante qu’a donnée le juge, répétant en cela la plaidoirie écrite de l’intimé, au fait que le témoignage de l’appelant aurait été truffé de « réticences, imprécisions, invraisemblances, contradictions et manques de transparence ». Si la transcription de son témoignage révèle que l’appelant a balbutié, a parfois été imprécis ou s’est contredit, ce qui peut caractériser à certains égards un témoignage relatif à plusieurs évènements survenus à différentes époques et sur une période d’une dizaine d’années, les qualificatifs précités empruntés par le juge à la plaidoirie de l’intimé laissent perplexe, d’autant plus que le jugement ne permet pas de voir en quoi de telles lacunes l’auraient emporté sur celles de même nature qui affectent aussi le témoignage de la plaignante sur plus d’un des évènements en litige. […]

[59]   L’appelant faisait face à 13 chefs d’accusation le rendant passible de peines sévères, ces chefs découlant de plusieurs événements distincts survenus au cours des années 2007, 2018 et 2019 et sur lesquels plus d’un témoin ont donné des versions généralement contradictoires. L’ensemble de ces considérations requérait de la part du juge une analyse délicate et certes difficile, mais néanmoins nécessaire, en fait et en droit. Or, le jugement entrepris ne révèle pas une telle analyse et le cumul des questions insolubles que soulève le jugement entrepris au regard de la preuve et des versions contradictoires des témoins sur plusieurs des évènements en litige justifie une ordonnance de nouveau procès sur l’ensemble des chefs dont l’appelant a été déclaré coupable, à l’exclusion des chefs 12 et 13, dont il ne conteste pas les verdicts.

[64] […] [C]ertes, le juge de première instance n’était pas tenu à un standard de perfection, mais simplement à celui de la suffisance, seuil qu’il n’a pas atteint.

Décision complète disponible ici  

 ***

✨ Abonnez-vous à ma veille jurisprudentielle afin de recevoir bi-mensuellement les décisions rendues par la Cour suprême du Canada, les cours d’appel canadiennes ainsi que l’ensemble des tribunaux québécois en matière de crimes à caractère sexuel.

✨ Inscrivez-vous à ma veille juridique pour être informé des plus récentes décisions prononcées par la Cour suprême du Canada ainsi que les décisions d’intérêt pour l’avocat.e-criminaliste rendues par la Cour d’appel du Québec.

✨ Rejoignez le groupe privé Facebook Le coin du criminaliste pour connaître les décisions favorables à la défense rendues au Québec, mais également par les cours d’appel canadiennes.

 

A lire également