droits-linguistiques

De sérieux manquements aux droits linguistiques justifient un nouveau procès

Dhingra c. R., 2021 QCCA 1681

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[59] […] les dispositions réparatrices ne s’appliquent pas dans le cas d’une violation des droits linguistiques. Cela est particulièrement le cas lorsqu’il s’agit des art. 530 et 530.1 C.cr., puisque l’objet de ces dispositions est la protection des minorités linguistiques du Canada par l’exigence d’un accès égal aux tribunaux dans l’une quelconque des langues officielles lorsqu’il s’agit de procès criminels […]

L’interprétation simultanée par opposition à consécutive

[69] L’interprétation consécutive doit demeurer la méthode privilégiée d’interprétation dans un procès criminel. Cette méthode permet que l’interprétation soit enregistrée de la même façon que les propos d’origine tenus au procès, réduisant ainsi considérablement le danger que l’interprétation ne soit pas enregistrée ou qu’elle soit perdue. De plus, les erreurs d’interprétation peuvent souvent être décelées immédiatement par les procureurs et le juge lors de l’interprétation simultanée d’une langue officielle à l’autre. Au surplus, cette méthode permet aisément les communications directes entre l’interprète et le juge, de même qu’avec les autres participants, permettant ainsi à l’interprète de demander à celui qui parle de répéter ou de ralentir le débit de ses paroles lorsque cela est nécessaire afin d’interpréter adéquatement.

[70] Le principal désavantage de l’interprétation consécutive est qu’elle ralentit considérablement le déroulement du procès. Dans une ère post-Jordan, il s’agit là certes d’une préoccupation sérieuse. Cependant, il incombe au gouvernement de fournir les services d’interprétation qui répondent aux normes de continuité, de fidélité, d’impartialité, de compétence et de concomitance énoncées par la Cour suprême tout en assurant néanmoins que le procès se déroule dans un délai raisonnable selon les principes établis dans Jordan. À cet égard, le « simple inconvénient administratif », y compris « les coûts financiers supplémentaires » ne sont pas pertinents à la question, puisque les droits linguistiques requièrent du gouvernement qu’il maintienne un cadre institutionnel adéquat et de fournir les services dans les deux langues officielles de façon égale lorsque les procès criminels sont en cause. Tous ont la responsabilité d’assurer que les dossiers soient traités de façon diligente. […]

[78] Dans le cas de l’appelant, il […] n’est pas contesté que l’appelant a consenti à l’interprétation simultanée par des moyens électroniques. Cependant, ce consentement fut clairement et précisément donné en raison de sa compréhension que l’équipement adéquat serait fourni et que l’enregistrement audio de l’interprétation était assuré et conservé.

[79] En l’espèce, la juge n’a fait aucun effort sérieux pour assurer la disponibilité de l’équipement requis, y compris l’équipement d’enregistrement audio. La juge n’a pas non plus exercé un contrôle quelconque sur la norme d’interprétation. Après avoir été informé de problèmes systémiques dans d’autres procès, la juge a simplement énoncé «  Well, I cannot guarantee anything ». Pourtant, il incombe au juge de s’assurer que le procès procède correctement. Si les services gouvernementaux responsables de l’interprétation sont déficients lorsqu’il s’agit d’interprétation simultanée ou s’ils ne peuvent fournir des garanties raisonnables quant au respect des normes de continuité, de fidélité, d’impartialité, de compétence et de concomitance de l’interprétation, il incombe alors au juge de prononcer les ordonnances requises afin de s’assurer que ces normes soient satisfaites ou, à défaut, d’ordonner l’interprétation consécutive. Dans les circonstances de ce procès, où aucune garantie n’a été fournie, la juge aurait dû ordonner l’interprétation consécutive puisque les conditions sous lesquelles l’appelant a consenti à l’interprétation simultanée ne pouvaient être respectées.

[80] De fait, l’équipement requis a fait défaut à de nombreuses reprises, ce qui a conduit à fournir l’interprétation à l’appelant au moyen de chuchotements, une méthode qui est manifestement incompatible avec les exigences de l’art. 530 C.cr.; de plus, plusieurs enregistrements de l’interprétation ont été égarés. Il a fallu près de deux ans au gouvernement pour trouver et transcrire l’interprétation. Malgré les ordonnances de la Cour exigeant de les trouver, le ministère public reconnaît que les enregistrements d’au moins huit jours d’audition ont été perdus et que certaines parties d’autres jours d’audition n’ont pas été enregistrées.  De plus, plusieurs jugements furent prononcés en français au cours des procédures, et dans plusieurs cas, il manque l’enregistrement de l’interprétation de ceux-ci. 

[81] L’appelant soutient aussi que la fidélité de l’interprétation est déficiente, non pas en raison de l’incompétence des interprètes, mais plutôt parce que la méthode d’interprétation simultanée utilisée en l’instance ne permettait pas à ces derniers de demander aux parties et au juge de ralentir le débit des débats, rendant ainsi quelquefois l’interprétation difficile, sinon impossible. Bien que le ministère public et l’appelant ne conviennent pas du nombre d’erreurs d’interprétation ou d’omissions d’interpréter qui seraient survenues, il suffit de constater qu’elles sont nombreuses et qu’il ne s’agit pas de la seule violation.

La langue utilisée par le procureur du ministère public et la juge

[82] Dans ce cas-ci, tant le procureur du ministère public que la juge ont utilisé le français comme la langue d’usage des communications tout au cours du procès. Il s’agit là d’une violation importante des droits linguistiques de l’appelant énoncés aux art. 530 et 530.1 C.cr.

[84] Il est donc particulièrement surprenant que, dans ce cas-ci, le procureur du ministère public assigné au dossier ait insisté pour faire usage du français tout au long du procès criminel qui devait se tenir en anglais, en violation directe et plutôt évidente de l’art. 530.1 C.cr. […]

[85] Quant au juge, l’art. 530 précise qu’il ou elle doit parler la langue officielle de l’accusé. Il s’agit de la pierre angulaire des garanties linguistiques énoncées dans le Code criminel. Un juge ne peut s’appuyer sur l’interprétation de ses paroles au cours d’un procès mené conformément à l’art. 530 C.cr., mais doit plutôt s’exprimer dans la langue officielle de l’accusé tout au long des procédures. Cela n’a pas été le cas.

Les transcriptions du procès

[86] Tel que déjà noté, il existe de sérieux problèmes en regard des transcriptions de l’interprétation des procédures. Bien que ces déficiences pourraient ne pas constituer en soi des violations sérieuses et importantes des droits de l’appelant en vertu de l’art. 530.1 C.cr. justifiant la tenue d’un nouveau procès, elles s’ajoutent néanmoins aux autres violations de ces droits.

[87] Il est particulièrement préoccupant que les violations par rapport aux transcriptions dans ce dossier semblent être systémiques, tel que le reconnaît le ministère public. Cette question fut traitée par la Cour dans son arrêt portant sur la mise en liberté de l’appelant. À tout le moins, nous ajoutons que le caractère systémique du problème rend ces violations plus sérieuses. Cette Cour ne devrait pas et ne peut pas entériner une telle incurie en regard de l’administration de la justice dans cette province.

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