Le silence relatif à l’admissibilité de la preuve de propension justifie un nouveau procès
Trudel c. R., 2021 QCCA 1550
Motifs du juge Schrager
[68] Je suis d’accord avec la façon dont mon collègue, le juge Levesque, propose de trancher l’appel, soit en ordonnant un nouveau procès, mais je ne suis pas d’accord avec sa conclusion sur le premier moyen, soit que nous devons déclarer inadmissible la preuve en question. Par contre, puisque le juge d’instance ne s’exprime pas sur l’exercice qu’il devait faire en l’espèce, soit de soupeser la valeur probante à l’encontre de l’effet préjudiciable de la preuve en question, le procès a été rendu inéquitable. Je m’explique.
[70] Les attouchements rapportés par la plaignante alors qu’elle avait 7 ans sont, tel que concédé par l’intimée, inadmissibles. C’est vrai qu’il n’y a aucune mention de cette preuve dans le jugement et que « […] les motifs du juge du procès doivent être tenus pour refléter fidèlement sa pensée ». Par contre, en l’espèce, on ne peut pas mettre de côté la possibilité que ces faits, conjugués aux autres éléments factuels, aient influencé le juge dans son analyse de la crédibilité de l’appelant. Le jugement est bref. La preuve est limitée aux témoignages de la plaignante et de l’appelant. Il n’y a aucune analyse de l’admissibilité des autres éléments circonstanciels qui précédent et qui suivent la commission de l’infraction. On ne peut pas, à mon avis, exclure la possibilité que les événements qui ont eu lieu alors que la plaignante avait 7 ans aient influencé le juge de ne pas croire l’appelant lorsqu’il nie être obsédé par la plaignante et ce qui a amené le juge à ne pas croire l’appelant lorsqu’il nie avoir commis l’infraction.
[71] De façon plus significative, le juge a définitivement tenu compte du témoignage de la plaignante quant à la série d’événements et quant aux comportements inappropriés, de nature sexuelle, adoptés par l’appelant à l’égard de la plaignante dans les 13 à 14 mois précédant la commission de l’infraction. Ils sont décrits en détail dans les motifs de mon collègue qui conclut que toute cette preuve est inadmissible puisqu’il s’agit d’une preuve de propension.
[72] Bien qu’il s’agisse d’une preuve de propension (généralement inadmissible, comme le souligne mon collègue), j’estime qu’elle peut être considérée comme une preuve circonstancielle de l’état d’esprit de l’appelant envers la plaignante, destinée à établir le mobile de l’infraction. Qu’une telle preuve puisse avoir une double vocation est reconnue en jurisprudence. Notamment une conduite indigne (autre que celle de l’accusation) peut être admissible pour prouver l’état d’esprit de l’accusé, un mobile ou la nature de sa relation avec la victime. Une agression envers la victime avant la commission de l’infraction peut être hautement pertinente puisqu’elle indique une forte disposition d’un mobile à commettre l’acte reproché. Une telle preuve est aussi potentiellement admissible pour déterminer la crédibilité de l’accusé. […]
[75] La proximité temporelle de la conduite indigne et de l’infraction est certainement un élément à considérer, mais les circonstances de l’espèce font en sorte que le juge pouvait considérer que les événements étaient suffisamment rapprochés de l’infraction dans le temps pour être pertinents et admis en preuve.
[76] Sans doute que cette preuve a aussi eu un effet préjudiciable pour l’appelant. Comme mon collègue le souligne, aucun débat n’a eu lieu au procès quant à l’admissibilité de cette preuve et notamment l’effet préjudiciable de cette preuve à l’encontre de sa pertinence n’a pas été soupesé […]
[77] Ainsi, je conclus que l’omission du juge de s’être livré à cet exercice a rendu le procès inéquitable. Sans être d’accord avec mon collègue que la preuve en question est nécessairement inadmissible, je suis d’accord qu’il y a lieu d’ordonner un nouveau procès et de laisser au juge qui le présidera le soin de décider de l’admissibilité de cette preuve selon les circonstances qui seront alors présentes après avoir analysé son effet préjudiciable.

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