Informations transmises illégalement à la GRC par un inspecteur de Postes Canada : la Cour d’appel confirme l’exclusion de la preuve en vertu des articles 8 et 24(2) de la Charte canadienne
R. c. McClish, 2024 QCCA 1612
Le ministère public porte en appel un jugement (2023 QCCQ 6541) qui acquitte M. McClish de diverses infractions en lien avec les armes à feu en raison de la violation de ses droits constitutionnels. Plus précisément, cette affaire met en cause les initiatives d’un inspecteur de Postes Canada qui communique à la police fédérale des renseignements confidentiels au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Un mandat général est ensuite obtenu, puis d’autres mandats de perquisition.
Pour la Cour d’appel du Québec, aucun des moyens proposés par le ministère public n’autorise son intervention. Le juge n’a pas erré en déterminant que M. McClish possède une attente raisonnable en matière de respect de sa vie privée relativement aux renseignements en cause. Dans la mesure où cette attente raisonnable existe, le juge était justifié d’exclure la preuve en vertu de l’art. 24(2) de la Charte canadienne.
Violation de l’art. 8 de la Charte canadienne
« [8] Le juge énonce les bons principes de droit concernant l’article 8 de la Charte, notamment que l’attente en matière de respect de la vie privée est un concept de nature normative et doit être évaluée avec l’ensemble des circonstances : McClish, par. 110-111. […] Contrairement à ce que plaide le ministère public, le juge ne s’est pas laissé « obnubiler » par le régime législatif qui réglemente les activités de Postes Canada et qui impose à cette dernière de maintenir la confidentialité des renseignements qu’elle obtient pour accomplir sa mission. À cet égard, le juge précise plutôt que, conformément à la jurisprudence, le régime législatif ne constitue qu’un « indice fort pertinent » pour déterminer l’attente raisonnable en matière de vie privée : McClish, par. 131.
[9] En outre, la Cour ne voit aucune erreur révisable dans l’analyse des lois et règlements, à l’issue de laquelle le juge conclut à une obligation imposée à Postes Canada de conserver la confidentialité des renseignements qu’elle obtient dans le cadre de ses opérations : McClish, par. 126-130, 138-140, 142, 167-169.
[10] Il n’est d’ailleurs pas inutile de souligner que la société canadienne accorde une grande importance à la protection du courrier et de ce qu’il renferme, le Code criminel prévoyant d’ailleurs une peine d’emprisonnement à perpétuité pour quiconque arrête un transport du courrier avec l’intention, notamment, de le fouiller : article 345 Code criminel.
[11] De plus, aucune erreur n’entache la conclusion du juge relative au caractère délibéré de la violation de la loi par Postes Canada pour communiquer les renseignements en cause. En fait, l’inspecteur a admis sans détour avoir pris la décision de ne pas respecter la loi, s’estimant justifié par l’urgence de la situation et le « devoir corporatif » de Postes Canada.
[…]
[13] Le juge pouvait et devait également tenir compte du fait que les démarches de l’inspecteur, notamment la fouille du colis par rayons X, étaient faites « pour faire avancer, faciliter et participer à l’enquête criminelle de la GRC [Gendarmerie royale du Canada] » : McClish, par. 172-173, et à la connaissance de la GRC. L’acceptation de ces informations par les policiers, sur une période de plusieurs mois, constitue une fouille, une saisie ou une perquisition. La GRC savait ou devait savoir que l’inspecteur violait la loi pour lui fournir des informations et elle « a laissé Postes Canada procéder à une fouille sans mandat » : McClish, par. 175. »
Exclusion de la preuve en vertu de l’art. 24(2) de la Charte canadienne
« [19] L’intensité de l’attente raisonnable en matière de respect de la vie privée est souvent déterminante dans l’évaluation du degré de gravité […] Or, le juge ne l’ignore pas, indiquant qu’il est conscient du degré plus faible de l’attente en matière de vie privée à l’égard des renseignements en cause : McClish, par. 220-221. Il n’a donc pas commis l’erreur que lui impute l’appelant.
[20] Toutefois, le juge évalue à la fois les conséquences de la transmission des renseignements personnels, les violations découlant de la fouille du colis et celles survenues en raison de l’exécution des mandats. L’appelant concédait que l’intimé avait une attente en matière de vie privée, mais réduite, pour chacune de ces adresses perquisitionnées, ce que le juge retient : McClish, par. 223. L’appelant ne lui fait aucun reproche à cet égard. Le juge conclut cependant que les multiples violations de la vie privée, répétées sur plusieurs mois, militaient pour l’exclusion de la preuve : McClish, par. 243-244.
[21] L’approche analytique préconisée par la Cour suprême indique que, tout en demeurant distinctes, la question de la gravité de la conduite attentatoire à la Charte et celle de son incidence sur les droits de l’accusé agissent généralement en tandem, mais que c’est leur poids cumulatif qui doit être considéré. Comme le démontrent les paragraphes précédents, le juge ne commet pas l’erreur de ne pas distinguer ces deux questions pour ensuite les mettre en balance par rapport à la troisième qui s’attarde à l’exclusion ou l’utilisation des éléments de preuve du point de vue de la recherche de vérité : R. c. McColman, 2023 CSC 8, par. 59.
[22] Enfin, l’appelant ne convainc pas la Cour qu’il y a lieu d’intervenir sur l’évaluation du troisième facteur, soit l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond. La présence d’armes est toujours un élément préoccupant, ce que reflète généralement la gravité des crimes qui y sont reliés, comme le juge le considère expressément : McClish, par. 250. Il constate néanmoins qu’aucune arme à feu en état de servir n’a été saisie et qu’aucune preuve n’indique que l’intimé agissait pour un réseau criminel : McClish, par. 248-249, ce qui est certainement pertinent pour l’analyse. Tout cela amène le juge à conclure que ce volet de l’analyse milite pour l’utilisation de la preuve. La Cour n’y voit aucune raison d’intervenir.
[23] Lorsqu’il procède à la mise en balance et qu’il pondère, le juge se livre à une analyse qui est raisonnable et il respecte les bons principes en s’interrogeant sur l’importance du maintien à long terme de l’intégrité du système de justice et de la confiance à son égard. Nul doute que la gravité de la conduite attentatoire a pesé lourd et rien ne permet à la Cour de substituer son opinion à celle du juge.
[24] En somme, la Cour rappelle que le juge constate à bon droit que les mécanismes qui autorisent la collaboration et la communication des renseignements avec les services de police ont été sciemment ignorés par Postes Canada, à la connaissance de la GRC qui a toléré ces violations de la Charte, et que les renseignements ainsi recueillis ont été utilisés pour obtenir les autorisations judiciaires, muettes sur la réelle provenance de ces renseignements. Ces conclusions s’inscrivent dans le contexte où, d’une part, l’expédition ou la livraison d’armes à feu par les services postaux n’a rien d’illégal et qu’au surplus, ces objets ne sont pas « inadmissibles » en soi au sens du règlement applicable. Le juge applique les bonnes règles, conclut sur les faits sans commettre d’erreurs et procède à une pondération exempte d’erreur. L’appelant ne démontre pas de motifs d’intervention. »
Décision complète disponible ici
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