Une démarche de recrutement de source marquée par la désinvolture policière mène à l’arrêt des procédures

Personne désignée c. R., 2022 QCCA 406

[126] Comme le démontre éloquemment la présente affaire, PD a notamment renoncé à son droit au silence, à son droit à l’assistance d’un avocat, à son droit à un procès public et à son droit à une défense pleine et entière.

[127] Tout d’abord, les policiers ont admis ne jamais avoir informé PD de son droit au silence et la preuve ne démontre pas qu’ils lui ont suggéré de consulter un avocat. Bien sûr que PD n’était pas une suspecte à ce moment précis, mais considérant la relation particulière dans laquelle elle s’engageait, et les policiers le savaient, elle risquait de s’incriminer. […]

[129] Quant au procès public, la procédure suivie en l’espèce en privait PD. […] [U]n procès secret est une aberration. Même le secret partiel ne se justifie qu’en raison de circonstances exceptionnelles et constitue autrement une violation d’un droit fondamental, cher à notre système de justice. Par conséquent, le secret absolu ne peut probablement jamais se justifier. 

[130] Qui plus est, PD n’avait plus droit à une défense pleine et entière. Elle ne pouvait pas, sans risquer de mettre à jour sa participation comme indicateur, appeler des témoins, y compris ses prétendus complices, pour contredire le plaignant et la preuve en général afin d’établir son véritable rôle ou soulever un doute à cet égard. Le privilège et la procédure forçaient ainsi PD à faire reposer sa défense uniquement sur sa version, sauf à se mettre en danger. Il s’agit d’une atteinte à l’équité du procès. 

[147] Selon la Cour, […] PD ne pouvait pas raisonnablement comprendre qu’elle serait accusée du dossier X si elle s’en ouvrait aux policiers. Au contraire, une personne raisonnable aurait dans les circonstances compris qu’elle ne serait pas poursuivie pour des crimes passés. En tout respect pour le juge, sur la foi de la preuve administrée, sa conclusion contraire est déraisonnable.

[148] Cette conclusion mène non seulement à une injustice, mais donne l’impression de tolérer une démarche de recrutement de source marquée par la désinvolture. Cela mine sérieusement l’objectif important d’encourager les personnes à offrir des informations à la police et par conséquent, mine l’intégrité du processus judiciaire. Une approche plus rigoureuse est manifestement plus adaptée à l’important rôle des informateurs pour le système de justice pénale.

[149] La responsabilité de l’État est grande lorsqu’il recrute des sources humaines. Il n’est pas toujours possible ni pratique, il est vrai, de négocier de façon exhaustive les termes d’un contrat élabore. Les méthodes d’approche des sources et la conclusion des ententes, comme pour les méthodes d’enquête en général, peuvent nécessiter une approche moins formaliste, flexible, et doivent être laissées à la discrétion de l’État et plus particulièrement des policiers. Toutefois, comme toute méthode d’enquête, il y a des pratiques meilleures que d’autres. L’une d’elles est certainement de s’assurer de conclure avec le candidat «indicateur» des ententes en lui transmettant toute l’information requise afin qu’il s’engage en toute connaissance de cause et que les policiers conservent des notes détaillées de cette entente […]

[150] En l’espèce, le service de police a pris soin de valider la candidature de PD dans le cadre d’un processus interne qui a pris un certain temps. Le dossier n’explique pas pourquoi, en marge de celui-ci, une démarche plus formelle avec PD n’a pas été entreprise afin de s’assurer qu’elle comprenait les limites de la protection offerte et les conséquences possibles de ses révélations anticipées. Évidemment, le risque de cette démarche était peut-être de perdre la collaboration recherchée si PD comprenait qu’elle resserrait elle-même l’étau sur son sort, sans la possibilité d’une entente « d’immunité ».

[151] Quoiqu’il en soit, si l’omission de renseigner adéquatement le candidat n’empêche probablement pas l’État de profiter des renseignements obtenus, l’État ne pourra profiter des imprécisions de son entente avec l’indicateur pour la retourner ensuite contre lui.

[152] En outre, selon ce qui lui est dit, un candidat peut certainement comprendre implicitement qu’on le tiendra indemne de ses mauvaises actions qui peuvent être touchées par l’enquête. Il lui importe peu que cette « immunité » relève ou non du pouvoir policier. C’est clairement le cas en l’espèce.

[153] Le fait de porter des accusations dans les circonstances est manifestement choquant. L’équité du procès était certainement compromise par les limites imposées au droit à une défense pleine et entière. Cela dit, une telle conduite étatique risque de miner l’intégrité du processus judiciaire.

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