Nouveau procès pour meurtre en raison de l’insuffisance des directives au jury sur les notions de préméditation et de propos délibéré
Koneak c. R., 2024 QCCA 1665
Les directives au jury concernant les notions de préméditation et de propos délibéré, éléments essentiels de l’infraction de meurtre au premier degré, doivent être suffisamment détaillées pour aider les jurés à établir les liens nécessaires entre les éléments de preuve et les questions juridiques pertinentes.
En l’espèce, la Cour d’appel est d’avis que le jury n’a pas été convenablement outillé pour trancher les questions de la préméditation et du propos délibéré. Le juge du procès aurait dû résumer la preuve pertinente sur ces questions de manière structurée et claire en plus d’établir des liens avec les critères juridiques applicables pour conclure à la culpabilité sur le chef de meurtre au premier degré. Par conséquent, la Cour d’appel ordonne la tenue d’un nouveau procès.
« [18] […] les exigences du caractère prémédité et délibéré du meurtre n’ont pas exactement la même signification et doivent coexister pour que le jury puisse conclure à la culpabilité sur un meurtre au premier degré. Le terme « préméditation » désigne un plan ou un projet délictuel soigneusement calculé et pensé dont la nature et les conséquences ont été examinées et soupesées au préalable. L’expression « de propos délibéré » suppose que le meurtrier ait pris le temps de réfléchir sur la portée du geste qu’il se proposait d’accomplir, qu’il a agi de manière non impulsive.
[19] Les directives du juge au jury sur les notions de préméditation et de propos délibéré sont exactes en droit. Ceci n’est pas remis en cause par l’appelant.
[20] En plus d’être exactes en droit, les directives du juge au jury doivent toutefois être suffisantes. En effet, le juge présidant le procès par jury a « l’obligation générale d’informer le jury des éléments de preuve pertinents et de l’aider à établir les liens nécessaires entre ces éléments de preuve et les questions dont le jury doit tenir compte pour parvenir à un verdict». L’abondance de détails factuels dans les directives, qui n’est pas toujours nécessaire, dépendra du contexte.
[21] En l’espèce, malgré un travail minutieux dans le contexte difficile d’un procès par jury en milieu nordique, j’estime que, sur la question de la préméditation et du propos délibéré, les directives du juge au jury étaient insuffisantes.
[22] En effet, dans ce cas particulier, le défaut du juge d’isoler les faits critiques et de les lier au critère juridique pertinent, c’est-à-dire celui de savoir si le meurtre a été « commis avec préméditation et de propos délibéré », constitue une erreur de droit.
[23] À mon avis, en raison de cette erreur, le jury n’était pas convenablement outillé pour trancher la question du caractère prémédité et délibéré du crime, qui avait le potentiel de faire passer le meurtre de deuxième degré à celui de premier degré, avec des conséquences très importantes sur l’appelant.
[…]
[25] En ce qui concerne le lien entre la preuve et les exigences de préméditation et de propos délibéré sur le meurtre au premier degré, les directives se limitaient à énoncer au jury (1) qu’il devait prendre en compte l’ensemble de la preuve et (2) qu’un certain degré d’intoxication pouvait suffire à nier la dimension planifiée et délibérée du meurtre. À mon avis, ces directives n’étaient pas suffisantes.
[26] Les éléments suivants pouvaient appuyer la thèse du ministère public sur la question de la préméditation et du propos délibéré : des indications de l’existence d’un plan au moins minimal, incluant le vol de l’arme dans un cabanon; les circonstances particulières du meurtre, dont le fait que le tueur a ciblé sa victime en tirant un coup de feu de précision sur sa tête de l’extérieur de la maison à travers la fenêtre près de la porte, que la porte de la maison a par la suite été défoncée et qu’un second coup de feu a été tiré sur la tête de la victime; les aveux extrajudiciaires de l’appelant selon lesquels il a préparé l’infraction en volant une arme et en cherchant activement une cible.
[27] Quant aux éléments de preuve qui pouvaient soulever un doute raisonnable sur la question de la préméditation et du propos délibéré, le juge mentionne avec raison la question de l’intoxication. C’est-à-dire que même si le jury rejetait la défense d’intoxication pour nier l’intention spécifique du meurtre, la preuve d’intoxication et son degré pouvaient avoir une incidence sur les exigences additionnelles pour un meurtre au premier degré.
[28] Mais également, notamment, les éléments suivants, dont le juge ne fait pas état, étaient pertinents sur la question de savoir si le meurtre a été commis de manière préméditée et délibérément : l’appelant n’avait aucune connaissance préalable de la victime; il n’avait aucun mobile apparent pour la commission du crime; la courte durée de l’absence de l’appelant de chez M. Snowball pendant laquelle le crime a été commis, qui peut être de nature à soulever un doute sur la mise en place d’un véritable plan ou d’un projet délictuel; les verbalisations de l’appelant aux policiers, qui pouvaient laisser croire que ses actions étaient le résultat d’une impulsion destructrice, non pas d’un processus de planification ou de délibération pensé et réfléchi.
[…]
[30] En somme, compte tenu de l’importance cruciale de la question du caractère prémédité et délibéré du meurtre dans ce dossier, le juge du procès aurait dû résumer la preuve pertinente sur ces questions de manière structurée et claire en plus d’établir des liens avec les critères juridiques applicables pour conclure à la culpabilité sur un meurtre au premier degré. Le jury n’a pas été convenablement outillé pour trancher les questions de la préméditation et du propos délibéré conformément au droit et à la preuve. »
Décision complète disponible ici
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