L’audience ex parte : une procédure exceptionnelle qui doit être soigneusement planifiée et organisée

Proulx c. R., 2021 QCCA 1756

[6] Les accusations découlent d’une enquête menée par la Sûreté du Québec entre les mois de septembre 2012 et d’avril 2013. Cette enquête reposait en grande partie sur une opération d’infiltration d’une organisation criminelle de la région de l’Estrie. Pour y parvenir, la Sûreté du Québec avait signé une entente avec Pascal Larochelle, un vendeur de drogue dans la région de Sherbrooke, qui est devenu un agent civil d’infiltration (« ACI » ou « Larochelle ») dont la participation visait à recueillir de la preuve contre l’organisation criminelle et ses membres. Son identité est connue.

[7] Le procès, incluant la gestion du dossier, s’est échelonné sur 56 jours entre octobre 2014 et mai 2017. Vingt jours ont été nécessaires pour la présentation de la preuve. Les autres journées ont été utilisées pour trancher des requêtes, dont certaines visaient la communication de la preuve. Le procès a notamment été ponctué d’incidents fort singuliers qui ont donné lieu à de nombreuses auditions ex parte dont les durées et les sujets abordés ont varié. […]

[10] En l’espèce, les choix initiaux de la poursuite et les décisions pendant les procédures sont directement responsables des nombreuses auditions ex parte qui, de l’aveu même du ministère public à l’audience, ont rapidement compliqué l’administration du procès. Il a raison.

[11] […] Dans la grande majorité des cas, les appelants n’ont absolument rien su de leurs contenus, voire des décisions prises au terme de chacune. Ils ont alors été privés de la possibilité d’explorer le bien-fondé de ces décisions ou d’en évaluer les impacts sur leurs droits. 

[12] […] La juge avait le devoir de ne pas perdre de vue les droits des accusés. Pour la Cour, il s’agit d’un cas où celle-ci ne pouvait simplement s’en remettre à sa compréhension générale de la situation avec l’unique éclairage du ministère public. La nomination d’un amicus curiae, demandée par les appelants, devenait incontournable dans les circonstances, malgré les délais de préparation additionnels que cela suppose et la lourdeur, somme toute, de l’exercice. […] Le problème a été exacerbé en tenant les appelants dans l‘ignorance, ce qui les empêchait d’intervenir, de faire des choix et d’exercer leurs droits face à la situation évolutive.

[13] En appel, après des efforts considérables pour compléter le dossier et répondre aux questions soulevées par les appelants, le ministère public démontre avec éloquence que beaucoup plus auraient pu être faits au procès pour informer les appelants sur le déroulement des audiences ex parte.

[14] Mais il y a plus. Malheureusement, il faut conclure qu’aucune précaution suffisante ne semble avoir été mise en place pour préserver le dossier d’instance pour l’appel. Par conséquent, encore aujourd’hui, des éléments du dossier manquent et affectent l’équité des procédures. En outre, la gestion des pièces déposées lors de ces auditions manquait de rigueur, de sorte qu’il est impossible en appel de comprendre adéquatement les positions respectives des parties au procès et ce que la juge a décidé. Malgré les demandes de la Cour et les délais octroyés, certaines pièces ont dû être reconstituées, sans compter qu’un jugement, contesté en appel notamment parce que les appelants en ignorent le contenu, demeure introuvable.

[15] La Cour est placée devant une situation unique où elle ne peut pas adéquatement jouer son rôle et examiner les reproches formulés par les appelants. Un nouveau procès est nécessaire.

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