L’application souple de la règle interdisant les condamnations multiples en matière d’alcool au volant

D.P.C.P. c. Vincent, 2024 QCCA 715

Acquittement-conducteur

[20] […] [L]a règle interdisant les condamnations multiples a été énoncée par la Cour suprême dans l’arrêt Kienapple […] Parfois aussi appelée « défense de res judicata », cette règle « interdit qu’un individu soit déclaré coupable de deux infractions qui, bien qu’abstraitement différentes à la lecture des textes d’incrimination, comportent des éléments déterminants qui se recoupent et visent de facto des comportements essentiellement identiques ». Elle a pour objectif d’« éviter “la redondance inutile dans les condamnations et l’administration de la peine” ». Lorsque la règle trouve application, le tribunal ordonne la suspension conditionnelle des procédures sur le chef le moins grave.

[21] Pour déterminer si la règle s’applique dans un cas donné, il ne suffit pas [traduction] « d’examiner les accusations et de se demander si une déclaration de culpabilité relative à l’une d’elles entraînera une déclaration de culpabilité relativement à une autre ». La règle requiert l’existence de liens suffisamment étroits entre les faits et entre les infractions elles-mêmes. […]

[22] Le critère du lien juridique suffisant entre les infractions consiste à vérifier « si le législateur a voulu des éléments distinctifs » entre celles-ci. Il n’y sera satisfait que si l’infraction à l’égard de laquelle on invoque la règle est dépourvue « d’éléments supplémentaires et distinctifs qui touchent à la culpabilité ». Dans les cas où les infractions sont de gravité inégale […] la règle peut s’appliquer « de manière à empêcher une déclaration de culpabilité relativement à une infraction moindre, même si l’infraction plus grave à l’égard de laquelle une déclaration de culpabilité a été inscrite comporte des éléments supplémentaires, pourvu toujours que l’infraction moindre ne compte pas d’éléments supplémentaires distincts ».

[33] Tel est le cas en l’occurrence. L’intimée a plaidé coupable à l’infraction la plus grave, soit l’infraction criminelle d’avoir conduit avec les facultés affaiblies en raison de l’alcool (al. 320.14(1)a) C.cr.). Cette infraction comporte un élément supplémentaire distinct, à savoir l’exigence des « capacités affaiblies ». En revanche, l’infraction moindre (art. 202.2 C.s.r.) ne comporte pas d’éléments supplémentaires distincts. L’appartenance à l’une ou l’autre des catégories de conducteurs visées par l’art. 202.2 C.s.r. ne constitue qu’une particularisation de cette infraction en ce qui concerne les personnes visées, l’infraction criminelle englobant quant à elle tous les conducteurs.

[37]  […] [E]n plaidant coupable à l’infraction criminelle prévue à l’al. 320.14(1)a) C.cr., l’intimée a été condamnée à une amende de 2 000 $ et à une interdiction de conduire d’une durée d’un an (sous‑al. 320.19(1)a(i) et paragr. 320.24(1) et (2) C.cr.). Elle s’est en outre vue imposer la révocation de son permis par la Société de l’assurance automobile du Québec. Pour réobtenir un permis, elle devra réussir une évaluation démontrant que son rapport à l’alcool ou aux drogues ne compromet pas la conduite sécuritaire d’une voiture. L’objectif d’assurer la sécurité routière et de sensibiliser l’intimée à l’importance d’adopter de bonnes habitudes de conduite est déjà atteint sans qu’il soit nécessaire de la condamner en plus en vertu du C.s.r. pour l’infraction commise à l’art. 202.2 C.s.r. Le cumul de points d’inaptitude perd de sa pertinence (à tout le moins pour la première année), le permis de conduire de l’intimée ayant déjà été révoqué pour cette période.

[39] Notons également que la jurisprudence de la Cour favorise une application souple de la règle interdisant les condamnations multiples, « […] fondée sur une analyse des faits qui sous-tendent les infractions et qui cherche avant tout à éviter la redondance dans les condamnations et dans la détermination de la peine […]

[40] Cette approche doit prévaloir ici. Le même évènement fonde la déclaration de culpabilité sous chacun des chefs. Les deux infractions sont fondées « sur le même acte » de l’intimée et « le lien entre les deux est suffisamment étroit et solide en fait et en droit […]» pour que la règle interdisant les condamnations multiples s’applique. Il faut éviter la redondance dans les condamnations.

 

Décision complète disponible ici  

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