L’absence injustifiée d’un enregistrement vidéo peut soulever un doute raisonnable quant au caractère volontaire d’une déclaration faites aux policiers
Bellemare c. R., 2025 QCCA 822

L’accusé est soumis à un interrogatoire de plus de quinze heures au cours de laquelle la portion la plus déterminante n’est pas enregistrée, soit celle où il avoue sa participation à un enlèvement et rédige une lettre d’excuses à la victime. Cette omission se produit alors que l’accusé présente une vulnérabilité psychologique marquée par un effondrement émotionnel, des signes suicidaires et un risque de désorganisation.
La Cour d’appel constate que le juge de première instance commet une erreur de droit en ne considérant pas pleinement l’absence d’enregistrement vidéo et en imputant à tort à l’accusé la responsabilité de ce défaut. Bien que l’omission d’une directive au jury à ce sujet constitue une erreur sérieuse, la Cour d’appel applique la disposition réparatrice, estimant que la preuve de culpabilité, même sans les aveux et la lettre d’excuses, demeure accablante.
[72] Au Canada, la prolifération progressive de l’enregistrement des interrogatoires de suspects s’explique en partie par la volonté de conjurer le risque d’erreurs judiciaires émanant de fausses confessions de même que par des impératifs d’efficacité du processus judiciaire. […]
[…]
[88] […] [D]ans certaines circonstances, particulièrement lorsqu’il est possible de procéder à un enregistrement vidéo en raison de la disponibilité du matériel pour le faire, le juge du procès devra déterminer s’il existe un substitut à l’enregistrement qui soit suffisant pour permettre au poursuivant de satisfaire à son fardeau. En l’absence d’un tel substitut, un doute raisonnable pourrait être aisément soulevé.
[…]
[103] Je résume donc le plus simplement possible la règle de droit applicable : l’absence d’un enregistrement électronique d’un interrogatoire est susceptible de soulever un doute raisonnable sur le caractère volontaire de la déclaration obtenue d’un suspect. […]
[…]
[109] Dans le présent dossier, les policiers choisissent, malgré l’état de vulnérabilité psychologique de l’appelant, de poursuivre l’interrogatoire, à un moment particulièrement décisif, dans une salle qui ne dispose d’aucun équipement pour l’enregistrer.
[…]
[114] Si ce n’était que des sanglots de l’appelant, les circonstances de son interrogatoire ne soulèveraient sans doute aucun questionnement, mais on ne peut faire abstraction du portrait dépeint par les policiers. Selon eux, l’appelant est suicidaire, au bord de la désorganisation, ce qui pose la question de savoir si l’effondrement émotionnel observé par les policiers le prive de son état d’esprit conscient, interrogation qui doit être résolue sans le bénéfice d’un enregistrement. Dans son analyse, le juge ne se penche pas sur l’état psychologique de l’appelant à ce moment-là.
[115] Selon les faits présentés et en droit, le choix de ne pas enregistrer la continuation de l’interrogatoire relève entièrement des policiers et non de l’appelant. À mon avis, la conclusion du juge ne tient pas compte de la portée juridique de certaines conclusions de la Cour suprême au sujet des interrogatoires de suspects.
[116] D’une part, le juge devait tenir compte de la vulnérabilité de l’appelant qui se trouvait «en situation défavorable par rapport aux pouvoirs éclairés et sophistiqués dont dispose l’État».
[117] D’autre part, il importe de considérer le droit de la police, qui contrôle alors l’ensemble de la situation, de poser des questions. […]
[118] […] [I]l va sans dire, comme l’explique le juge Fish dans [….] [l’arrêt Singh] (dissident, mais par sur ce point), que « les prisonniers et les détenus ne sont par définition pas libres de s’en aller quand bon leur semble » et qu’ils « sont impuissants à mettre fin à leur interrogatoire ». Il y a un « déséquilibre des pouvoirs entre l’État et les personnes détenues ».
[119] On ne saurait donc imputer à l’appelant, comme le laissent entendre le poursuivant et le juge d’instance, la responsabilité de l’absence d’un enregistrement vidéo. L’appréciation de la preuve par le juge est fondée sur un mauvais principe juridique.
[120] Ce facteur justifie la conclusion que l’évaluation du caractère volontaire comporte une erreur de droit. Correctement apprécié, cet aspect aurait pu influencer la détermination du juge quant à l’effet de l’absence d’enregistrement vidéo alors que les policiers disposaient d’une salle équipée pour enregistrer. Rien n’empêchait les policiers de retourner dans cette salle après une pause adéquate ou même d’utiliser leurs téléphones pour enregistrer les propos de l’appelant à tout le moins sous forme audio. Le dossier n’explique pas pourquoi cette solution n’a jamais été sérieusement envisagée.
Décision complète disponible ici
***
✨ Inscrivez-vous à ma veille juridique pour être informé des plus récentes décisions prononcées par la Cour suprême du Canada ainsi que les décisions d’intérêt pour les avocat(e)s-criminalistes rendues par la Cour d’appel du Québec.
Aimeriez-vous être informé gratuitement des décisions prononcées par la Cour suprême du Canada en matière criminelle ainsi que des décisions d’intérêt pour l’avocat(e)-criminaliste rendues par la Cour d’appel du Québec?