La Cour d’appel substitue à l’incarcération une peine d’emprisonnement de 18 mois dans la collectivité pour un jeune délinquant reconnu coupable d’agression sexuelle
Casavant c. R., 2025 QCCA 20
Lors d’une fête, l’appelant et la plaignante, tous deux âgés de 19 ans, se retrouvent dans une chambre. Alors que la plaignante est endormie, elle est réveillée par les attouchements de l’appelant, qui la pénètre ensuite.
La Cour d’appel est d’avis qu’en imposant une peine d’incarcération de 18 mois, le juge a uniquement et erronément priorisé les objectifs de dénonciation et de dissuasion afin de répondre au crime. Bien que l’art. 718.04 C.cr. souligne l’importance de ces objectifs lorsque des personnes vulnérables sont victimes, il demeure que tous les objectifs pénologiques doivent être considérés et que la possibilité d’une peine d’emprisonnement dans la collectivité ne peut être écartée.
Considérant les facteurs atténuants – très jeune âge au moment du crime, absence d’antécédents criminels, risque de récidive presque inexistant, respect des conditions de mise en liberté, actif pour la société, soutien familial et bon réseau social – la Cour d’appel substitue à l’incarcération une peine d’emprisonnement dans la collectivité d’une durée de 18 mois, suivie d’une année de probation.
« [64] Il faut réitérer le message voulant que l’agression sexuelle constitue un crime grave qui en soi comporte des conséquences graves. Il s’agit de la définition même du comportement prohibé. Il n’est toutefois pas impossible d’envisager une peine autre que l’emprisonnement dans un cas donné, si cette peine demeure proportionnelle aux circonstances et au délinquant. À tort ou à raison, ces cas seront peut-être rares, mais notre Cour a souvent répété que la sévérité d’une peine n’est pas l’apanage de l’emprisonnement […]
[65] Parallèlement aux discussions des tribunaux canadiens, et postérieurement aux arrêts évoqués de la Cour suprême, le législateur s’est de nouveau exprimé en novembre 2022 en rouvrant la possibilité de recourir à l’emprisonnement dans la collectivité, notamment pour cette infraction. Ce faisant, le législateur n’envoie pas le message qu’il faut être moins sévère dans l’approche de la peine, mais plutôt qu’il faut réfléchir autrement, même pour des crimes graves. Notamment, les circonstances se prêtent parfois à ce que des individus qui ne présentent pas une menace inacceptable pour la sécurité du public purgent leur peine d’emprisonnement dans la collectivité si la durée appropriée de celle-ci est de moins de deux ans.
[66] Cela est sage puisque, si l’infraction demeure toujours grave, comme l’explique bien l’arrêt R. c. Lemieux, 2023 QCCA 480, personne ne nie que le crime d’agression sexuelle se décline dans des circonstances diverses et qu’il est commis par des délinquants aux profils très variés.
[67] La question est toujours la même : « Pour cette infraction, commise par ce délinquant, ayant causé du tort à cette victime, dans cette communauté, quelle est la sanction appropriée au regard du Code criminel? » […]
[…]
[79] […] tout en acceptant que le juge pouvait conclure qu’une certaine confiance implicite était démontrée puisque la plaignante avait accepté de dormir chez l’appelant à la suite d’une fête arrosée, et plus particulièrement de s’installer dans son lit alors qu’il devait dormir sur le divan du salon, je ne peux me convaincre qu’il s’agit d’un « facteur extrêmement aggravant ». Je conviens donc avec l’appelant que le juge a erré en s’appuyant de façon aussi importante sur l’abus de confiance […]
[84] Je rappelle que le crime d’agression sexuelle est grave et qu’il interpelle vivement, comme tous les crimes du reste, les objectifs de dénonciation et de dissuasion, mais également les autres objectifs de la peine qui sont énumérés au Code criminel. Dans les circonstances du dossier et afin de répondre aux différents objectifs de la peine, personne ne suggère que l’appelant mérite autre chose qu’une peine de prison; et il recevra une peine de prison.
[…]
[87] […] l’emprisonnement avec sursis est une peine de prison (d’une durée maximale de deux ans moins un jour, comme le prévoit le Code criminel) et non une « probation renforcée ou sévère ». Il ne faut donc pas se surprendre lorsque le candidat, n’eût été cette mesure, aurait été condamné à l’incarcération.
[88] Il vaut de rappeler que le législateur a également codifié l’important principe de modération dans le recours à l’emprisonnement, comme le rappelle l’arrêt R. c. Bachou, 2022 QCCA 1145. Ce principe doit être envisagé à l’égard de tous les délinquants. Le juge Cournoyer, qui écrit pour la Cour, ajoute que « [c]e faisant, le législateur a « positionné l’emprisonnement comme une mesure de dernier recours » » […]
[…]
[97] Je rappelle […] que l’arrêt Proulx reconnaît que la poursuite des objectifs de dénonciation et de dissuasion générale n’est pas un obstacle dirimant à l’emprisonnement avec sursis […]
[99] La dénonciation des comportements inacceptables débute avec le dépôt des accusations criminelles. Dans la mesure où la société a fermé les yeux devant des comportements de la nature de ceux en cause, ou les a banalisés, on peut affirmer que cette époque est définitivement révolue. La criminalisation des comportements et le stigmate rattaché au procès et à la condamnation participent à la dénonciation. La peine termine l’exercice. Mais à cette étape, il s’agit de punir de façon juste un crime et un délinquant. Seule une peine juste est acceptable. La gravité du crime, les circonstances dans lesquelles il est commis, et le délinquant font inéluctablement varier le résultat et doivent être reconnus.
[…]
[101] Cela dit, lorsque des personnes vulnérables sont victimes, le législateur a indiqué que les facteurs de dissuasion et de dénonciation doivent recevoir une attention particulière (art. 718.04 C.cr.). Si ce facteur rend plus rares les cas où l’emprisonnement ne sera pas la réponse au crime, il demeure que tous les objectifs doivent être considérés et que la possibilité d’une peine d’emprisonnement dans la collectivité ne peut être écartée. »
Décision complète disponible ici
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