Crimes de nature sexuelle commis sur une mineure : la Cour d’appel ordonne la tenue d’un nouveau procès en raison d’erreurs manifestes dans l’appréciation de la preuve

Montplaisir c. R., 2024 QCCA 1722

La Cour d’appel du Québec accueille l’appel de M. Montplaisir et ordonne la tenue d’un nouveau procès sur les chefs d’accusation 1 à 8 liés à des infractions de nature sexuelle sur une mineure. Différentes erreurs du juge de première instance ont fragilisé les verdicts de culpabilité en privant l’accusé, à chacune des étapes de l’analyse prévue à l’arrêt W.(D.), de bénéficier pleinement du doute raisonnable. 

1) Analyse incorrecte de la crédibilité fondée sur l’attitude froide et rigide de l’accusé

« [5] Le juge souligne avec insistance l’attitude rigide et froide de l’appelant lors de son témoignage. Il s’agit d’une question qui a occupé une place importante dans son analyse à l’origine des déclarations de culpabilité.

[6] À la première étape de la grille proposée par l’arrêt W.(D.)le juge apprécie la version de l’appelant en se basant notamment sur sa façon de témoigner :

L’accusé se révèle rigide, catégorique, n’exprime, ne démontre, lors de son témoignage, ni sentiment, ni affection à l’endroit de [la plaignante] – ce qui interroge aussi le Tribunal – même en colère, même pour une plainte fausse, comme la Défense le, prétend, mensongère. Il est étonnant que dans son témoignage jamais ne manifeste-t-il de regret pour une personne qu’il a par ailleurs, selon la preuve, il nous dit madame Pélissier [la conjointe de l’appelant], mais ce qui ne ressort pas de son témoignage à lui, une personne qu’il a affectionnée.

[…]

[7] Même rendu au stade de l’appréciation de la preuve du poursuivant, le juge revient sur cette question :

Madame Pélissier décrit un comportement de l’accusé beaucoup plus affectueux que celui-ci nous décrit de façon rigide, sans affection, comme d’ailleurs le révèle la photo qu’elle-même a prise et qui a été déposée sous la cote PRD-2.

[8] En somme, l’appelant n’est pas crédible en raison de son attitude rigide et froide durant son témoignage, soit une posture discordante avec la preuve de son affection pour la plaignante. 

[9] L’analyse de la crédibilité de l’appelant basée sur son attitude lors de son témoignage, non seulement comporte ses limites en soi, mais en l’espèce, relève d’une inférence infondée. En fait, il n’existe pas de lien logique entre les impressions décrites par le juge à partir de l’attitude de l’appelant lors de son témoignage et sa volonté de dire la vérité. D’ailleurs, le juge ne tente pas d’expliquer ce lien si ce n’est d’y recourir au soutien de son impression défavorable contre l’appelant.

[10] Cela dit, il peut y avoir plusieurs explications pour lesquelles l’appelant avait une attitude « rigide » lors de son témoignage rendu dans le cadre d’un procès criminel, dont le stress du procès et le fait d’avoir été l’objet d’une plainte.

[11] En somme, le juge s’appuie sur des éléments de preuve qui n’ont aucun lien rationnel avec la dénégation des faits de l’appelant. »

2) Attente implicite d’un aveu de culpabilité 

« [14] Le juge commet une autre erreur en droit en recherchant dans la version de l’appelant une forme d’aveu de culpabilité (« Il est étonnant que dans son témoignage jamais ne manifeste-t-il de regret pour [la plaignante] »). On ne peut certes pas exiger d’un accusé, au stade du procès, qu’il démontre des regrets à l’endroit d’une personne dont il nie les allégations. »

3) Renversement du fardeau de preuve

« [16] Au moment de se pencher sur le témoignage de la plaignante, le juge écrit :

Je dois dire que ce qui est questionnable, mais ce n’est pas à la Poursuite à répondre à cela, comme ce n’est pas à la Défense à expliquer ou à trouver un motif pour lequel la victime inventerait, mentirait. Ce qui est questionnable, pourquoi l’accusé a fait ça quand les gestes nous sont décrits comme ils le sont.

[17] En se questionnant d’une façon aussi ouverte, le juge se trouvait à affirmer que la plaignante ne pouvait pas avoir menti puisque l’appelant n’était pas en mesure d’expliquer « pourquoi [il] a fait ça ». Cette erreur est déterminante, non pas en raison d’un problème lié à l’appréciation d’une preuve factuelle, mais dû à un raisonnement qui écarte le doute raisonnable puisque, dans l’esprit du juge, la question n’est plus de savoir « [s’il] a fait ça », mais « pourquoi [il] a fait ça ».

[18] En somme, le juge ne suit pas le raisonnement intellectuel approprié pour conclure à la culpabilité de l’appelant, ce qu’il l’a d’ailleurs conduit à ne pas s’interroger à savoir si le témoignage de l’appelant, en dépit du fait qu’il ne le croyait pas, pouvait tout de même soulever un doute raisonnable. »

4) Contradictions ignorées ou mal évaluées 

« [21] Le juge se devait d’évaluer la crédibilité et la fiabilité du témoignage de la plaignante sous l’éclairage des contradictions révélées par sa version et celle de X. Cet exercice d’appréciation s’imposait d’autant plus en raison de la contradiction importante déjà révélée par le témoignage de la plaignante à l’origine de l’acquittement de l’appelant sur l’accusation d’exhibitionnisme. 

[…] 

[23] L’appelant soulève d’autres contradictions dont le juge n’a pas traité. En guise d’exemples, il réfère aux contradictions entre les témoignages de la mère de la plaignante et de sa fille, entre la déclaration vidéo de cette dernière et son témoignage lors du procès ou encore entre son témoignage et celui de son copain.

[24] Les contradictions ciblées par l’appelant ne revêtent pas toutes la même importance. Certaines, et peut être même toutes, pourraient très bien s’expliquer par le passage du temps ou en raison d’autres circonstances non révélées dans le jugement entrepris. Cela dit, elle demeure problématique puisqu’elles ne sont pas résolues dans le jugement entrepris, ou encore, elles sont passées sous silence»

 

Décision complète disponible ici  

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