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Nouveau procès pour un accusé déclaré coupable d’agression sexuelle puisqu’il n’a pas été informé de son droit d’être jugé dans la langue officielle de son choix

R. c. Tayo Tompouba, 2024 CSC 16

[1] Au Canada, l’art. 530 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46 (« C. cr. »), garantit à tout accusé le droit de subir son procès dans la langue officielle de son choix. Il s’agit d’un droit fondamental d’une importance capitale. Il assure aux accusés qui parlent l’une des deux langues officielles un accès égal aux tribunaux et contribue de ce fait à la préservation de l’identité culturelle des minorités francophones et anglophones partout au pays.

[2] Pour faire en sorte que l’accusé puisse choisir de manière libre et éclairée la langue dans laquelle il sera jugé, le législateur impose à cette fin une obligation d’information au juge devant lequel il comparaît pour la première fois. Inscrite au par. 530(3) C. cr., cette obligation très importante exige que le juge veille à ce que l’accusé soit avisé de son droit de demander à subir son procès devant un juge ou un juge et un jury, selon le cas, qui parlent la langue officielle de son choix, et des délais dans lesquels il doit formuler cette demande.

[5] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis qu’un manquement au par. 530(3) C. cr. représente une erreur de droit permettant à une cour d’appel d’intervenir en vertu de l’al. 686(1)a) C. cr. La jurisprudence enseigne que constitue une erreur de droit visée au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr. toute erreur dans l’application d’une règle de droit par voie de décision ou d’omission fautive, pour autant que cette erreur soit liée à l’instance ayant mené à la déclaration de culpabilité et qu’elle ait été commise par un juge. Un manquement au par. 530(3) C. cr. correspond précisément à cette définition. En effet, il s’agit d’une omission de se conformer à une règle de droit, qui est liée à l’instance ayant mené à la déclaration de culpabilité et qui a été commise par un juge. Une fois démontré, le manquement au par. 530(3) C. cr. a pour conséquence d’entacher le jugement du tribunal de première instance. Il fait naître une présomption de violation du droit fondamental de l’accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix qui ouvre la porte à une intervention en appel. Cette présomption peut ensuite être réfutée par le ministère public dans le cadre de l’analyse liée à la disposition réparatrice du sous-al. 686(1)b)(iv) C. cr.

[6] En plus de s’intégrer harmonieusement dans le régime d’appel d’une déclaration de culpabilité, ce cadre d’analyse établit un juste équilibre. D’une part, il prend en compte et donne effet à l’objet de l’art. 530 C. cr., c’est-à-dire favoriser le maintien et l’épanouissement des minorités linguistiques partout au Canada en assurant un accès égal aux tribunaux dans le cadre de procédures criminelles. D’autre part, il prévient le risque qu’un accusé qui a été reconnu coupable profite en appel, d’une manière indue et pour un motif oblique, d’un manquement au par. 530(3) C. cr. survenu en première instance. En effet, le cadre d’analyse énoncé donne au ministère public la possibilité de convaincre la cour d’appel que le droit fondamental de l’accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix a été respecté, malgré le manquement au par. 530(3) C. cr. S’il réussit, l’appel peut alors être rejeté. Pour cette raison, le cadre d’analyse atténue de manière appréciable les risques d’instrumentalisation des droits linguistiques en appel — des manœuvres hautement condamnables qui doivent être sanctionnées, dans toute la mesure du possible.

[7] En l’espèce, je conclus que la Cour d’appel a commis une erreur de droit en imposant à M. Tayo Tompouba le fardeau de démontrer, en plus du manquement au par. 530(3) C. cr., que son droit fondamental de subir un procès dans la langue officielle de son choix a effectivement été violé en première instance. Si elle avait appliqué le bon cadre juridique, la Cour d’appel aurait conclu que M. Tayo Tompouba avait prouvé l’existence d’une erreur révisable, et que le ministère public avait échoué à démontrer que le droit fondamental de l’appelant n’a pas dans les faits été violé malgré le manquement au par. 530(3) C. cr.

[8] Je propose donc d’accueillir l’appel, d’annuler la condamnation et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès en français.

 

Décision complète disponible ici  

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