La notion de « mauvaise conduite » aux fins du crédit majoré pour la détention présentencielle

R. c. J.W., 2025 CSC 16

Le crédit majoré pour la détention présentencielle peut être refusé lorsqu’une « mauvaise conduite » du délinquant est la cause de la détention prolongée. Cette notion doit cependant être interprétée de manière restrictive, conformément aux objectifs et principes de la détermination de la peine, notamment le principe de proportionnalité. La simple prolongation des procédures, comme le changement d’avocat ou l’indécision concernant un plaidoyer de culpabilité, ne constitue pas en soi une mauvaise conduite, sauf si ces gestes visent délibérément à entraver le bon fonctionnement du système de justice.

[87] Dans l’arrêt Summers, la juge Karakatsanis a expliqué que, dans certaines situations, la majoration du crédit « se révélera souvent inopportune » (par. 48). Fait important, « lorsque la longue détention présentencielle est attribuable à la mauvaise conduite du délinquant » (par. 48) ou « lorsque la détention résulte de l’inconduite du délinquant » (par. 71), celui‑ci ne se verra probablement pas octroyer un crédit majoré.

 

[…]

 

[94] […] [S]i les actes en question sont posés dans l’intention d’entraver le bon fonctionnement du système de justice criminelle, il s’agira alors d’une mauvaise conduite. Les tentatives qui visent à [traduction] « “déjouer” le système » en faisant traîner l’instance ne peuvent être tolérées (Carvery, par. 20).

 

[…]

 

[96] Il ne fait aucun doute que le fait d’exercer ses droits légaux n’est pas en soi répréhensible. Causer des délais, p. ex., en congédiant son avocat, en choisissant de ne pas plaider coupable ou en présentant des requêtes fondées sur la Charte, ne constitue pas une mauvaise conduite en soi. Toutefois, de telles actions deviennent répréhensibles lorsque le délinquant manifeste l’intention d’entraver ou de miner le déroulement des procédures dans le système de justice criminelle.

[…]

 

[98] […] [L]a question de savoir s’il y a eu mauvaise conduite doit être tranchée au cas par cas. Quant au fardeau de preuve applicable, les observations de la Cour dans l’arrêt Summers indiquent que le droit à un crédit majoré n’est pas automatique (par. 75). Il incombe plutôt au délinquant de démontrer qu’il y a droit (par. 79). Cela dit, en général, le fait qu’il y a eu détention présentencielle « permet d’inférer que le délinquant a subi une perte aux fins de l’admissibilité à la libération conditionnelle ou à la libération anticipée, ce qui justifie un crédit majoré » (par. 79).

 

[99] Lorsque cette inférence peut être tirée, il incombe alors à la Couronne (Summers, par. 79) de démontrer que le délinquant a eu une mauvaise conduite. La Couronne peut en outre faire valoir d’autres motifs justifiant l’exclusion du crédit majoré, comme le fait que l’accusé est un délinquant particulièrement dangereux, « auteu[r] d’infractions graves, [qui] n’[a] tout simplement pas droit à la libération anticipée ou conditionnelle », ou que « la conduite de l’accusé en prison donne à penser qu’il ne sera pas libéré par anticipation ou conditionnellement » (par. 79) […]

 

[…]

 

[107] Bien que la juge chargée de la détermination de la peine ait correctement noté que la conduite de l’appelant avait causé des délais dans l’instance, elle ne s’est pas demandé si cette conduite était une mauvaise conduite. À mon avis, elle a fait erreur dans son examen en omettant de prendre en compte un facteur pertinent, soit la santé mentale de l’appelant pendant la période d’incarcération. La preuve indique que la conduite de l’appelant avant d’être déclaré inapte à subir son procès était une conséquence entièrement ou en grande partie attribuable à son état mental et cognitif.

 

[…]

 

[109] La juge chargée de la détermination de la peine n’a pas accordé l’attention qu’il fallait à ce qui précède lorsqu’elle s’est demandé si l’appelant, par ses actions, avait intentionnellement entravé le bon fonctionnement du système de justice criminelle. À la lumière de ce qui précède, je conclus que les actions de l’appelant, bien qu’ayant causé des délais considérables, ne constituaient pas une mauvaise conduite le rendant inadmissible à un crédit majoré.

 

[110] Par conséquent, je modifierais la peine afin d’accorder à l’appelant un crédit majoré à raison d’un jour et demi contre un pour les 607 jours qu’il a passés à Providence. Compte tenu de la révision du calcul effectué par la Cour d’appel, cela équivaut à un crédit majoré de 304 jours additionnels.

 

Décision complète disponible ici  

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