Absolution conditionnelle pour des gestes violents envers une partenaire mineure
R. c. Boily, 2025 QCCA 841

La Cour d’appel confirme l’imposition d’une absolution conditionnelle à un jeune adulte ayant plaidé coupable notamment à des voies de fait, des menaces et des voies de fait par étranglement à l’endroit de sa partenaire intime mineure. Tout en reconnaissant la gravité des infractions et leur impact sur la victime, la Cour rappelle qu’une absolution peut être légalement prononcée, même dans des cas de violence conjugale graves, lorsque les circonstances le justifient, notamment en présence d’un délinquant primaire en pleine crise de santé mentale au moment des événements.
[7] Au moment des faits, l’intimé et la victime forment un couple; il est âgé de 23 ans, elle en a 16. Le 21 juillet 2023, alors qu’ils se rendent dans une forêt avec des amis, l’intimé confie à une amie qu’il veut « enterrer » la victime. Étant mise au courant, cette dernière tente de mettre fin à leur relation, mais change d’avis après qu’il l’eut informée de son intention de se suicider.
[8] Le 23 juillet, deux jours plus tard, le couple circule en voiture lorsque la victime, assise du côté passager, demande à descendre. L’intimé s’arrête au bord de la route et la laisse sortir, après l’avoir d’abord retenue par le bras. Elle marche un moment, puis remonte finalement dans la voiture. La conduite automobile de l’intimé devient alors erratique et dangereuse, poussant la victime à insister, en vain, pour prendre le volant. Une fois arrivés à l’appartement de l’intimé, ce dernier, qui a ingéré plusieurs médicaments, notamment des somnifères et des antidépresseurs, fait une crise et dit vouloir se battre avec le conjoint de la mère de la victime. Il parle aussi de se suicider et affirme que s’il meurt, la victime doit mourir avec lui. En montant vers l’entrée de l’appartement, il menace de la pousser du deuxième étage. Craignant qu’il mette sa menace à exécution, la victime s’assoit au sol et sent la main de l’intimé pousser dans son dos. Elle s’agrippe à la rampe et l’intimé la retient finalement pour l’empêcher de tomber.
[9] Ils entrent ensuite dans l’appartement où la victime signale à l’intimé que ses limites sont atteintes et qu’elle met fin à leur relation. L’intimé la pousse : elle se cogne la tête et l’oreille contre la hotte de la cuisinière. À ce moment-là, elle veut quitter l’appartement et prévient l’intimé qu’elle a peur. Il lui répond qu’il va lui donner une bonne raison d’avoir peur.
[10] La victime se réfugie alors dans la chambre de l’intimé. Il la suit, se jette sur elle et tente de l’étrangler. Elle crie à l’aide. Il finit par cesser l’étranglement et lui ordonne de partir. La victime s’enfuit donc de l’appartement, mais l’intimé se lance à sa poursuite. Il finit par la rattraper, l’agrippe par les cheveux et la jette par terre. Il lance ensuite son téléphone portable, le cassant. Elle se remet à courir, mais il la rattrape, la plaque au sol et l’étrangle. L’intimé la relâche à nouveau et elle trouve refuge dans un immeuble d’où elle appelle les secours.
[11] La police intervient auprès de l’intimé qui se montre très agressif lors de son arrestation. Il donne trois coups de tête à l’un des agents. Il est conduit à l’hôpital, mais sera finalement libéré après avoir pris l’engagement de comparaître le lendemain et de ne pas contacter la victime.
[12] Environ une heure après sa libération, l’intimé appelle sa mère et lui annonce qu’il a une « bonne nouvelle » : il va commettre son premier meurtre. En faisant cette déclaration, il désigne la victime par son nom. Il retourne ensuite à son appartement avec sa sœur. Lorsqu’il remarque que certains objets semblent avoir disparu, il se désorganise, crie, lance des objets dans l’appartement et dit à sa sœur : « J’vas aller chez eux, tu vas voir, m’as la tuer, elle va avoir peur! ».
[13] L’intimé quitte ensuite l’appartement en mentionnant plusieurs fois qu’il est sur le point de commettre la « pire erreur de [s]a vie ». Il envoie ensuite un message texte à la victime lui disant qu’elle ne mérite pas son amour et lui laisse un message vocal lui disant de rester loin de lui.
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[28] Il ne fait aucun doute que les principes de dénonciation et de dissuasion méritent une attention particulière lorsqu’un tribunal inflige une peine dans une affaire de violence conjugale à l’égard d’une victime âgée de 16 ans. Toutefois, cela n’exclut pas pour autant l’application d’autres objectifs pénologiques, comme la proportionnalité et la réinsertion sociale, surtout lorsqu’il s’agit de condamner un jeune délinquant primaire. De plus, comme l’a souligné le juge, l’absolution n’est pas une peine d’exception, « elle peut être ordonnée même pour un crime grave, dès lors que les conditions inhérentes à son ouverture sont réunies ».
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[30] Le juge souligne qu’afin de répondre aux objectifs de dénonciation et de dissuasion, un crime comportant de la violence conjugale entraînera généralement une peine d’emprisonnement. Toutefois, vu la situation qu’il décrit comme « exceptionnelle », notamment en raison du caractère isolé des infractions commises par un délinquant primaire en pleine crise de santé mentale, le juge conclut qu’une absolution conditionnelle ne nuit pas à l’intérêt public. En soulignant ce caractère exceptionnel, le juge met également l’accent sur le plaidoyer de culpabilité de l’intimé, ses expressions de remords et de regrets — qu’il estime empreintes de beaucoup de sincérité — sa reconnaissance des conséquences subies par la victime, ses efforts pour traiter ses problèmes de toxicomanie et de santé mentale et le risque de récidive « amenuisé ».
[…]
[33] Il incombe au juge qui prononce la peine de pondérer les différents objectifs pénologiques. Ce n’est que si cette pondération est déraisonnable qu’elle peut constituer une erreur de principe justifiant l’intervention de la Cour. Le requérant ne parvient pas à démontrer que tel est le cas en l’espèce. Sans perdre de vue l’importance primordiale de la dissuasion et de la dénonciation, le juge choisit de mettre également en balance d’autres objectifs, à savoir la réinsertion sociale et la réadaptation; à cet égard, son jugement est solidement ancré dans la preuve, y compris le témoignage de l’intimé et le rapport présentenciel.
[34] Il convient de rappeler que la Cour a déjà confirmé que dans des circonstances appropriées, un juge peut raisonnablement prononcer une absolution conditionnelle dans des affaires mettant en cause des infractions de nature grave, y compris des voies de fait par étranglement, une agression armée (arme blanche) et des voies de fait causant des lésions corporelles à l’égard d’un partenaire intime. Comme le rappelle la Cour dans Harbour c. R., « c’est une erreur de croire que seul l’emprisonnement peut répondre adéquatement aux objectifs de dénonciation et de dissuasion, la sévérité n’étant pas l’apanage de l’emprisonnement ».
[35] Au vu des faits propres à l’affaire dont il est saisi, le juge détermine que, nonobstant la gravité des infractions et leur incidence sur la victime, le fait qu’elles aient été commises par un jeune délinquant primaire aux prises avec une crise de santé mentale milite en faveur d’une absolution. Un autre juge aurait très bien pu pondérer différemment les divers objectifs liés à la détermination de la peine, mais cela ne saurait justifier une intervention de la Cour.
Décision complète disponible ici
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