La conséquence mortelle d’un crime ne peut justifier le refus d’imposer une peine d’emprisonnement dans la collectivité

Rondeau c. R., 2024 QCCA 1372

M. Rondeau conduit un camion remorquant une plateforme pour ponton lorsqu’une cane et ses canetons traversent soudainement la route. Il s’arrête et actionne ses feux d’urgence. Malgré la courbe devant lui, M. Rondeau contourne les canards et il se retrouve dans la voie inverse. Il créé ainsi un obstacle inévitable pour la motocyclette qui arrive à vive vitesse. Le motocycliste décède sur le coup. 

La Cour d’appel substitue à la peine de 8 mois d’emprisonnement infligée en première instance une peine de 12 mois d’emprisonnement avec sursis à être purgée dans la collectivité. Elle est d’avis que le juge commet une erreur en orientant sa décision uniquement en fonction de la conséquence tragique, soit la mort du motocycliste, faisant de la gravité objective de l’infraction un facteur aggravant qui empêche une autre mesure que l’emprisonnement en milieu carcéral.

« [60] Il ressort clairement de sa décision que la conséquence tragique, soit la mort de la victime, est le facteur pour lequel le juge refuse d’ordonner l’emprisonnement dans la collectivité. Or, il s’agit du crime uniquement. Il n’est pas contesté que la peine doit à la fois punir le crime et le délinquant.

[61]  Le juge explique le caractère tragique de l’événement, notamment qu’il en résulte la mort d’un être humain et un impact douloureux pour la famille de la victime.  

[…]

[63] Le juge reconnaît par ailleurs que le rapport présentenciel, préparé par une criminologue, conclut que l’environnement social de l’appelant ne démontre aucun facteur criminogène, que l’accident constitue un cas isolé et circonstanciel, que le risque de récidive apparaît faible et que les démarches judiciaires semblent comporter un effet dissuasif significatif.

[…]

[66] Pourtant, après avoir constaté que les facteurs atténuants comme l’absence d’antécédents judiciaires, l’âge, sa bonne réputation, un emploi stable et le soutien de sa famille, le juge affirme que « vu la nature du crime, ces facteurs apparaissent jouer un rôle mineur hormis le lien d’emploi » et que « bien qu’à charge de redite, cela s’avère peu utile ici au regard de l’infraction et des circonstances entourant sa commission. ».

[…]

[71] Le fait d’ancrer dans les conséquences de l’infraction l’exclusion de l’emprisonnement avec sursis est une erreur puisque le décès est, par nécessité, toujours présent dans le cas d’une conduite dangereuse causant la mort. Le juge s’attarde uniquement à punir l’infraction. Il s’agit d’une erreur de principe qui est aggravée par le fait d’avoir exclu, sans motifs, l’objectif de réhabilitation. Il s’agit de la seconde erreur de principe. Ces deux erreurs ont eu une incidence sur la peine et elles justifient l’intervention de la Cour. 

[…]

[73] S’il est vrai, comme le souligne le juge de la peine, que le législateur a augmenté la peine maximale et qu’il a, comme le souligne l’intimé, intégré une déclaration de principe à l’article 320.12 C.cr.   énonçant, entre autres, que « la protection de la société est favorisée par des mesures visant à dissuader quiconque de conduire un moyen de transport de façon dangereuse ou avec les capacités affaiblies par l’effet de l’alcool ou d’une drogue, car ce type de comportement représente une menace pour la vie, la sécurité et la santé des Canadiens », je rappelle de nouveau que le législateur a rétabli la possibilité d’ordonner l’emprisonnement avec sursis pour l’infraction de conduite dangereuse causant la mort. 

[74] Or, rien dans la présente affaire n’y fait obstacle, ni juridiquement ni factuellement. L’emprisonnement avec sursis est une modalité de la peine qui convient à la situation. »

Cet arrêt est également l’occasion de rappeler que l’interdiction de conduire ou les restrictions à l’utilisation d’un véhicule pendant les procédures sont des éléments pouvant être pris en compte dans l’imposition de la peine.

« [45] L’appelant est également soumis à des restrictions importantes pour la conduite d’un véhicule depuis le dépôt des accusations, le 9 juillet 2020 jusqu’en février 2022, moment où l’interdiction de conduire a été considérablement assouplie pour se limiter essentiellement à entre 22 h et 4 h ainsi que le samedi et le dimanche. Dans l’ordonnance de mise en liberté en appel, les conditions ont été davantage assouplies sans opposition du ministère public.

[46] L’interdiction de conduire ou les restrictions à l’utilisation d’un véhicule pendant les procédures sont des éléments pouvant être pris en compte. »

[Références omises]

 

Décision complète disponible ici  

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