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La peine d’emprisonnement minimale pour le crime de communication en vue de l’obtention de services sexuels contre rétribution d’une personne âgée de moins de 18 ans prévue à l’al. 286.1(2)a) C.cr. est déclarée inconstitutionnelle

Denis c. R., 2024 QCCA 647

[71] Je suis d’avis qu’il nous faut examiner les scénarios invoqués par l’appelant. Dans Griffith, le juge Vauclair rappelle, aux paragr. 79-80, qu’une cour supérieure ne peut invoquer la retenue judiciaire pour justifier son refus d’examiner ces scénarios. Je suis d’avis que cette règle s’applique en appel à la condition, évidemment, que le dossier ait été « soigneusement préparé pour l’appel » : Griffith, paragr. 85.

[76]  En l’espèce, les parties ont amplement eu l’occasion de présenter leurs observations en rapport avec les scénarios hypothétiques évoqués par l’appelant devant la juge de première instance, arguments dûment repris en appel. Ceci répond donc aux préoccupations de la juge Martin, même en appel, et j’estime qu’il faut examiner la question.

[77]  Voici les six situations auxquelles l’appelant renvoie la Cour, telles que décrites dans sa requête en première instance :

[…]

Scénario 6

Une personne âgée de dix-huit (18) ans texte un.e ami.e qui est mineure. Il sait qu’elle est une travailleuse du sexe. Ils conviennent d’avoir des rapports sexuels et la personne âgée de dix-huit (18) ans offre de l’argent à la personne mineure. Il a des sentiments pour elle, mais il ne veut pas lui avouer. Dans tous les cas, avant même la rencontre, la personne de 18 ans a commis l’infraction prévue à 286.1(2) C.cr. ainsi que celle de leurre.

[85] […] [L’arrêt] Faroughi démontre que le sixième scénario, qui met en cause un jeune de 18 ans, ne peut être qualifié d’invraisemblable ou de trop éloigné de la réalité, même si les circonstances du scénario sont peut-être plus favorables à la thèse de l’appelant. Quoi qu’il en soit, Faroughi constitue un exemple d’une situation véritable d’application de la disposition. Je souligne que la peine minimale a été jugée inconstitutionnelle dans cette affaire.

[88]  Le paragr. 286.1(2) C.cr. constitue une infraction qui donne ouverture à une multitude d’applications, allant de la seule communication par une personne âgée de 18 ans en vue d’obtenir un baiser d’une personne un peu plus jeune jusqu’à l’obtention véritable de services sexuels de la part d’une personne mineure par une personne d’âge mûr. Ceci est de nature à la rendre plus vulnérable sur le plan constitutionnel […]

[89] L’examen de situations raisonnablement prévisibles doit se fonder sur l’expérience judiciaire et le bon sens. Il s’agit d’examiner « des circonstances imaginables qui pourraient se présenter couramment dans la vie quotidienne » […] C’est dans cet esprit que j’estime que le scénario plaidé par l’appelant et la jurisprudence (que ce soit Faroughi ou J.L.M., qui ont déclaré l’inconstitutionnalité de la disposition) mènent à la conclusion que la peine minimale ici sera exagérément disproportionnée à la peine juste et proportionnée dans des cas raisonnablement prévisibles. Ainsi, le sixième scénario invoqué par l’appelant mènerait vraisemblablement à un emprisonnement avec sursis ou à une peine de détention bien inférieure aux 6 mois, au point où la peine minimale serait exagérément disproportionnée.

[90] Par ailleurs, l’intimé et le mis en cause ne font valoir aucun argument sous l’article 1 de la Charte en vue de sauver la disposition. Il n’est donc pas approprié de procéder à cette analyse.

[91] Pour ces motifs, je propose que la Cour […] accueille cet appel en partie pour confirmer la peine d’emprisonnement de 6 mois infligée en première instance, mais pour déclarer, conformément au paragraphe 52(1) de la Charte, que la peine minimale obligatoire de l’alinéa 286.1(2)a) C.cr. est inconstitutionnelle et inopérante.

 

Décision complète disponible ici  

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