De six à trois ans d’emprisonnement : l’effet atténuant de la déficience intellectuelle sur la peine

A.V. c. R., 2025 QCCA 156 

[4] […] X témoigne qu’à au moins quatre reprises à Saint-Eustache et à deux reprises à Laval, dans la chambre de l’appelant, ce dernier le force à lui faire une fellation, il se fait faire une fellation, l’appelant se masturbe jusqu’à l’éjaculation, il lui montre des vidéos pornographiques sur sa télévision et il l’empêche de quitter la chambre bien qu’il tente de sortir.

[…]

[23] La situation personnelle du délinquant, y compris sa déficience intellectuelle ou ses troubles mentaux, peut avoir un effet sur sa culpabilité morale et, par le fait même, sur la peine applicable dans son cas particulier, comme le signalent le juge en chef Wagner et le juge Rowe dans l’arrêt Friesen :

[91] […] Le principe de proportionnalité exige que la peine infligée soit « juste et appropriée, rien de plus » […]  la situation personnelle des délinquants peut avoir un effet atténuant. Par exemple, les délinquants ayant des déficiences mentales qui comportent de grandes limites cognitives auront probablement une culpabilité morale réduite […]

 

[26] Ainsi, la déficience intellectuelle ou un trouble mental peut contribuer aux choix que fait un délinquant et sur sa capacité d’apprécier toutes les conséquences et le mal causé par sa conduite, ce qui peut influer sur sa culpabilité morale et, par conséquent, sur sa peine.

[27] Même lorsqu’elle ne contribue pas directement à la commission de l’infraction, la déficience intellectuelle ou le trouble mental peut néanmoins constituer un facteur atténuant aux fins de la détermination de la peine si, en tenant compte de celle-ci, la peine serait autrement excessive. 

[28] En l’occurrence, le juge n’a pas tenu compte de la déficience intellectuelle de l’appelant aux fins de la détermination de la peine puisque, selon lui, la preuve n’indiquait pas qu’il souffrait d’une déficience mentale comportant de grandes limites cognitives susceptibles de réduire sa culpabilité morale. Le juge dit s’appuyer à cette fin sur le rapport de la Dre Sanchez qui établirait que l’appelant « ne souffre que d’un retard intellectuel modéré ». Il semble bien que le juge soit d’avis que l’adjectif « modéré » dans ce contexte doit recevoir sa signification commune du dictionnaire, soit « peu intense » ou « assez faible ». Or, le DSM-5 introduit comme nouvelle preuve, et utilisé par la Dre Sanchez pour établir son diagnostic, comme elle le confirme dans son courriel du 2 avril 2024, établit que l’expression « retard intellectuel modéré » est plutôt un terme d’art propre à la psychiatrie qui ne reflète pas que le retard intellectuel en cause soit « assez faible » au sens commun du terme, bien au contraire.

[…]

[34] Ainsi, contrairement à ce qu’en a conclu le juge de première instance, il ne faut pas confondre un diagnostic de déficience intellectuelle modérée avec celui de léger ni avec la définition du dictionnaire (soit d’« assez faible »). Le mot « modéré » doit plutôt être compris en fonction de son usage aux fins du DSM-5.

[35] On doit donc comprendre du diagnostic applicable à l’appelant que celui-ci comprend effectivement la différence entre le bien et le mal aux fins de l’article 16 du Code criminel, mais que cela ne signifie pas qu’il comprenne bien la portée et les conséquences sur autrui des gestes qu’il pose, son jugement étant limité et restreint. […]

[36] En ce sens, la culpabilité morale de l’appelant en regard des infractions en cause ne saurait être évaluée de la même façon que celle d’un autre individu qui commettrait les mêmes gestes, mais qui ne serait pas atteint d’une telle déficience intellectuelle. D’ailleurs, l’expertise sexologique portant sur l’appelant identifie les troubles intellectuels de l’appelant comme faisant partie des « [f]acteurs éloignés, immédiats et déclencheurs que nous pouvons associer aux gestes délictuels ».

[37] Nous sommes donc d’avis que le juge erre lorsqu’il ne tient pas compte de la déficience intellectuelle de l’appelant aux fins de la détermination de la peine. Il y a donc lieu d’intervenir afin de réformer la peine.

[…]

[41]  […] Ainsi, une peine totale de trois ans d’emprisonnement sera substituée à la peine totale de six ans imposée par le juge.

 

Décision complète disponible ici  

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